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Teambuilding (2e partie): Porter de l’attention aux tensions dans les équipes !

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Par Norbert APTER.

Comment ? Quand mettre en place quoi ? Que garder à l’esprit ? Quels objectifs transversaux avoir ? Avec quels moyens… et quelles techniques possibles ? Tout en tenant compte du type de facilitation nécessaire.

Dans l’article précédent (« Lorsque les cuisiniers se battent le rôti brûle »), nous avons vu que

  • sous l’appellation « Teambuilding », les managers et les professionnels RH désirent une intervention, un accompagnement d’équipe consolidant, tant du point de vue relationnel qu’opérationnel
  • le taux de tension conflictuelle existant dans une équipe est un élément essentiel dans la planification de cette intervention, cet accompagnement
  • le type de facilitation de l’équipe se choisit en fonction du taux de tension conflictuelle
  • trois grands type de facilitation sont à différencier : Taux 1-3 : TeamCaring, Taux 4-6 : building, Taux 7-10 : Médiation d’équipe.

Dans cet article (1), pour chaque type de facilitation, nous préciserons :

  • les indicateurs de base : ces indices, ces signaux auxquels être attentifs pour identifier le type de facilitation utile, voire nécessaire
  • l’axiome de base et ses corollaires : ce qu’il y a lieu de garder à l’esprit, en fonction du taux de tension conflictuelle de l’équipe
  • les objectifs transversaux : ces objectifs, qui hormis les objectifs opérationnels choisis, sont spécifiques à la période et l’état de l’équipe et de son manager
  • les moyens fondamentaux à utiliser dans le processus de reconstruction, afin de maintenir le taux de tension bas, ou, s’il est plus élevé, le diminuer.
  • quelques exemples de techniques d’action utilisables : ces techniques d’action (et d’innombrables autres) vont avoir une efficacité d’autant plus grande lorsque la méthodologie humaniste de Moreno (Les Méthodes d’Action) est maîtrisée. (Apter N., 2015.)

Parcourons donc chacun des trois types de facilitation.

 

L’EQUIPE VA BIEN ? LE TEAMCARING

Taux de tension entre 1 et 3

Quand le mettre en place? Les indicateurs de base

Lorsque l’équipe va bien, l’ambiance y est agréable et légère, l’efficacité de l’équipe est stimulante. La communication y est simple, même lorsque les dialogues sont denses.

Les envies, les besoins, les différences et les frustrations sont exprimés et donnent lieu à des discussions créatives qui permettent d’avancer ensemble. Une tendance à la conciliation plutôt qu’à la confrontation prévaut, d’autant plus aisément que le taux de tension conflictuel et les enjeux y relatifs sont bas. Les problèmes, tant concrets, pratiques et opérationnels, que relationnels sont pris en main et résolus de manière constructive et motivante. Ces résolutions renforcent, en l’équipe, un sentiment d’appartenance, porteur de sens et de dynamisme.

Que garder à l’esprit ? Axiome(s) de base

Le fait que l’équipe aille bien n’est jamais un acquis définitif.

Cette bonne santé relationnelle et opérationnelle nécessite d’être entretenue, ancrée et renforcée. « Se reposer sur ses lauriers » serait une erreur. En plus de l’attention quotidienne et hebdomadaire à chacun-e, à l’équipe, et à tous les petits problèmes (avant qu’ils ne prennent de l’ampleur), une prise de recul conséquente est nécessaire périodiquement. D’autant plus que des incidents vont – on le sait – se produire au fil du temps : c’est inéluctable, la vie est ainsi faite. Issu de l’extérieur ou de l’intérieur de l’équipe, « le conflit est inévitable, la guerre est facultative » (Max Lucado).

Maintenir et renforcer la bonne santé professionnelle de chacun-e et de l’équipe est donc une stratégie préventive et consolidante indispensable. C’est en 2007 que m’est venue l’expression TeamCaring pour cette stratégie ; elle reflète d’une part l’action de « prendre soin de l’équipe», et d’autre part, l’attitude qui lui est indissociable : « la bienveillance ».

Quels objectifs transversaux avoir ?

La prise de recul collective qu’est un TeamCaring vise donc à:

  • Entretenir, ancrer et renforcer la bonne santé de l’équipe
  • Prévenir d’éventuelles tensions
  • Enrichir le climat collaboratif
  • Accroître l’efficacité, tant individuelle que collective
Quels sont les moyens fondamentaux à utiliser ?

Prendre soin de son équipe relève d’une attention et d’une bienveillance pro-actives, insufflées par le manager, et a besoin de s’inscrire petit à petit dans la culture commune de travail.

La co-construction en équipe de cette culture commune est un moyen dynamisant et responsabilisant permettant de faire émerger les éléments de communication, les attitudes, les comportements individuels et collectifs qui la promeuvent.

Prendre soin de son équipe nécessite en outre, au minimum une fois par année, un temps réflexif plus long.

Expériences faites, 2 jours d’affilée est un format très efficace permettant d’approfondir chacun des moyens fondamentaux pour co-capitaliser sur la bonne santé de l’équipe, à savoir :

  • Mettre à profit l’intelligence collective
  • Renforcer le plaisir du travailler ensemble
  • Revisiter la période et en tirer les fruits
  • S’appuyer sur les atouts et tirer parti de ses succès
  • Améliorer ce qui a donné lieu à des « couacs »
  • Se poser des questions de fonds
  • Co-élaborer des évolutions opérationnelles et relationnelles motivantes
Quelles techniques d’action pourraient être utilisées ? Exemples

Le spécialiste en Méthodes d’Action, selon J. L. Moreno, pourra aisément maximaliser dans un TeamCaring, des techniques telles que :img_0951

 

L’EQUIPE EST INSTABLE ET TENDUE ? LE TEAMBUILDING

Taux de tension entre 4 et 6

Quand le mettre en place ? Les indicateurs de base

Lorsque l’ambiance est tendue dans l’équipe, la communication se complique, les positionnements défensifs-agressifs apparaissent, se calment, réapparaissent, etc.

L’équipe commence à être en souffrance plus ou moins ouvertement, avec, ici et là, des quiproquo, des malentendus, des non-dits et/ou de la démotivation et des dysfonctionnements. Présentéisme et absentéisme sont en augmentation. Parfois même, un bouc émissaire est nommé et/ou des alliances se construisent peu à peu.

L’équipe a besoin de changement, c’est-à-dire de retrouver une capacité à communiquer et à collaborer constructivement.

Que garder à l’esprit ? Axiome(s) de base

L’instabilité de l’équipe ne présage rien de bon, si aucune consolidation n’est faite.

Le temps à lui seul ne suffit pas : s’atteler à résoudre les problèmes collectivement est dès lors sine qua non. Mais attention, il ne s’agit pas de simplement « colmater les brèches »  – ce qui n’a pas d’efficacité pérenne – mais bel et bien de résoudre les difficultés existantes. D’autant que sinon, ces malaises risquent de se succéder et d’occasionner des blessures plus ou moins grandes et des dysfonctionnements de plus en plus fréquents. Or, l’accumulation – même avec des moments de répits dus à des « colmatages » – est préjudiciable à la collaboration, à la cohérence et à la cohésion de l’équipe… et peut mener à des conflits latents et ouverts beaucoup plus conséquents.

Les malaises présents sont (heureusement) autant de signaux plus ou moins clairs, (hélas) d’un besoin fondamental de l’équipe : prendre un vrai recul pour revisiter son fonctionnement, que ce soit du point de vue concret, pratique, opérationnel, ou du point de vue relationnel. D’autant que la sensation d’appartenance, la sensation d’équipe, le sens des procédures, des projets, des activités, etc… se déprécient peu à peu : un mouvement de (re)construction a besoin d’être activé et maintenu !

En ce sens, l’expression TeamBuilding vise juste : (re)construire l’équipe.

Quels objectifs transversaux avoir ?

La prise de recul collective qu’est un TeamBuilding vise donc à :

  • diminuer les tensions
  • relancer la constructivité de la communication, et partant l’amélioration du climat relationnel
  • clarifier les fonctionnements (opérationnels et relationnels) de l’équipe
  • résoudre et transformer les problèmes
  • réancrer les ressources individuelles et collectives
  • renouveler les perspectives
Quels sont les moyens fondamentaux à utiliser ?

Face à cette émergence de divers foyers (petits ou grands) de tensions, de malaises et/ou de dysfonctionnements, l’équipe a besoin d’être prise au sérieux dans ses difficultés et que lui soit proposé un temps de réflexivité collective conséquent.

Le facilitateur (manager ou spécialiste externe) aura besoin lors d’un tel TeamBuilding, de ses compétences de résolution de problèmes et de résolution de conflits pour utiliser efficacement les moyens de base qui sont nécessaires à la reconstruction :

  • établir un cadre de prise de recul ouvert et bienveillant
  • clarifier la communication (c’est-à-dire clarifier ce qui est exprimé, ce qui est entendu, ce qui est compris, etc.)
  • mettre à profit l’intelligence et la créativité collectives dans la recherche d’options
  • revisiter, selon les circonstances, la mission de l’équipe, les rôles et fonctions, les procédures, les réunions d’équipe, les relations, etc.
  • ancrer la complémentarité des talents
  • co-produire les changements nécessaires

Lorsque la diminution du taux de tension est effective (autour de 3-4), chacun-e a besoin de s’impliquer, de manière pro-active, dans le développement d’une culture de TeamCaring.

D’où la présence fréquente, en fin d’un TeamBuilding, d’un plan d’action concret, pratique qui inclut une dimension « Bonnes Pratiques de Communication et de Collaboration » élaborée par l’équipe.

Quelles techniques d’action pourraient être utilisées ? Exemples

Les techniques de base sont indubitablement

  • la résolution de problèmes
  • la transformation de conflits
  • ainsi que parfois l’intervention de crise (non-anticipée)

Lorsque la méthodologie de Moreno est maitrisée, certaines techniques d’action peuvent compléter efficacement la recherche de changement  :img_1124

 

LES TENSIONS REGNENT? LA MEDIATION

Taux de tension entre 7 et 10

Quand la mettre en place? Les indicateurs de base

Lorsque les tensions règnent, la communication devient de plus en plus épidermique et infructueuse.

Divers signaux d’alerte peuvent s’installer, par exemple : la perte de sens, des positionnements défensifs-agressifs et des jeux de pouvoir, des « clans », des rumeurs, des dérapages verbaux, des explosions, des implosions (absentéisme, burn-out), des conflits durs, des incidents répétitifs, un « ras-le-bol » de plus en plus perceptible, etc.

Ce sont-là autant d’appels au secours désespérés : les divers protagonistes aimeraient bien sortir de ce système douloureux, pénible… sans pour autant savoir comment. Cette sensation d’impuissance et l’accumulation des appels à l’aide nourrissent l’aspect épidermique de la communication: le cercle vicieux de la « guerre » est en route.

Que garder à l’esprit ? Axiome(s) de base

Il y a urgence à agir, c’est-à-dire à mettre tous les protagonistes ensemble et leur offrir une alternative facilitée aux conflits : la médiation d’équipe.

La médiation est un processus complexe facilité par un tiers formé. Dans le processus de médiation d’équipe, chaque protagoniste reste entièrement responsable : que ce soit du point de vue de ses dires, de ses actes, de ses attitudes, de ses émotions, pensées, valeurs, etc., ou quant à l’acceptabilité et l’application des décisions qui y sont prises.

Souvent, la peur d’un aggravement, d’un enlisement du conflit, voire le “ras-le bol” du conflit latent ou ouvert, stimulent les protagonistes à envisager une réelle recherche de solutions acceptables par et pour chacun(e); même si cela paraît difficile. D’où l’utilité d’un tiers facilitant le processus : le facilitateur / médiateur.

Ne pas confondre médiation et adjudication

Dans l’adjudication, les parties sont considérées comme ne pouvant pas résoudre leurs conflits et doivent importer une décision de l’extérieur. Et ceci peut se faire sans leur consentement mutuel (ex. procédure de justice).

Ne pas confondre non plus médiation et arbitrage.
L’arbitre est une tierce partie, choisie par consentement mutuel, pour tirer les conclusions du conflit et de la négociation, et décider. Et ce, même si l’arbitrage est ordonné par un juge, un responsable, ou s’il représente un devoir contractuel.

(adapté et traduit par l’auteur) : William W. Wilmot, Joyce L.Hocker « Interpersonal Conflict », Boston (MA), Mc Graw Hill, 1988)

Quels objectifs transversaux avoir ?

Une médiation d’équipe vise à:

  • Diminuer les tensions
  • Réouvrir les canaux de communication directe et respectueuse
  • Ré-enclencher l’intelligence collective
  • Améliorer de manière substantielle le climat de travail de l’équipe
  • Transformer les conflits en dialogues constructifs
  • Trouver des options à implémenter, acceptables pour chacun-e, voire même satisfaisantes.
  • Renouveler la collaboration
  • Redynamiser les perspectives de l’équipe
Quels sont les moyens fondamentaux à utiliser ?

Lorsque les tensions règnent dans une équipe, le moyen fondamental est bien entendu la médiation d’équipe.

Favoriser dans la recherche de transformation, par-delà toute stratégie de médiation :

  • l’établissement d’une communication constructive,
  • l’émergence de l’intelligence collective,
  • un renouvellement d’un niveau de confiance porteur
  • l’empowerment de chacun-e et de tous

Être attentif aux phases de la médiation

typiquement : Poser le cadre – Evaluer – Examiner ensemble – Co-élaborer – Etablir un accord – Clore.

Faire confiance au processus

L’art du médiateur réside aussi dans sa capacité de faire confiance au processus et non pas seulement aux stratégies ou aux procédures. Ceci est d’autant plus essentiel que la médiation n’est pas, loin s’en faut, un processus linéaire et que le rôle du facilitateur est d’accompagner, de manière cadrante et non moins flexible, le chemin de transformation impulsé par l’équipe(et son chef).

N.B. Le facilitateur sera en outre bien avisé d’avoir acquis aussi les compétences d’intervention de crise en équipe, du fait de l’explosivité possible de cette prise de recul … désirée mais non aisée.

Quelles techniques d’action pourraient être utilisées ? Exemples

La mise en abyme de la méthode de Moreno permet d’associer à chaque phase de la médiation diverses techniques. (Cf schéma ci-dessous). Il va sans dire que la double compétences (en Méthodes d’Action et en Médiation) est nécessaire afin d’éviter des dérapages.

mediation-et-moreno

CONCLUSION

Les possibilités de prise de recul existent.

Cependant, ayant le nez dans le guidon, personne n’a vraiment le temps de se poser les questions importantes et celles-ci peuvent petit à petit miner le terrain et le chemin vers le succès. Les managers et les professionnels des ressources humaines sont de plus en plus conscients de ces risques – et parfois même de ces dangers – qu’occasionne l’état relationnel et opérationnel de leurs équipes. Ils ont de plus en plus à cœur d’éviter ces écueils en s’assurant de développer une communication constructive et une collaboration efficace, et en prévenant ou en traitant les tensions avant qu’il ne soit « trop tard ».

Mais pour cela, il s’agit de changer de paradigme : ne pas se contenter de porter l’attention à l’urgent ou à ce qui est considéré comme tel, au « quotidien », au « day-to-day », aux résultats immédiats….

Il s’agit de prendre le temps – surtout lorsqu’il n’y en a pas – pour se centrer sur l’important : le bon fonctionnement de l’équipe.

Ainsi peut-on évaluer le type de facilitation nécessaire, la mettre en œuvre, (re)consolider l’équipe, renforcer le plaisir du « travailler ensemble » et l’efficacité collective.

 

Notes

1. Ce texte fait partie des Actes du Symposium « Plaisir et Tension », organisé par l’Institut ODeF, qui s’est tenu à Genève les 4 et 5 juillet 2016. Il est issu de la conférence “Plaisir et tension dans les équipes”.

 

Bibliographie

Apter N. (2015). L’action en formation, mais avec méthode !  Agora, La revue des formateurs romands, n° 7, 5.

Date de publication : 31 octobre 2016

© Copyright Institut ODeF: Journal Relation et Action, Genève