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L’éthique en psychodrame

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Par İnci DOGANER.

 

Cet article traite de la philosophie de la morale dans le psychodrame et non des standards spécifiques de comportement des psychodramatistes.

Le fils de Jacob Levi Moreno et de Zerka T. Moreno et premier enfant d’une famille psychodramatique, Jonathan Moreno, qui est désormais philosophe, historien et spécialiste en bioéthique, dit que, lorsque des philosophes académiques utilisent le terme d’éthique, ils renvoient à la fois à l’étude de la morale et à l’étude de standards de la conduite morale d’un groupe professionnel spécifique (J. D. Moreno, 1994).

Le psychodrame lui-même a une philosophie morale ; un socle qui contient un ensemble d’éléments interdépendants. Cela implique une base éthique. C’est une philosophie de vie. Les techniques de Moreno ont été développées à partir d’une philosophie qui était destinée à toucher toute la race humaine.

Lacan met en avant, dans ses séminaires sur l’éthique de la psychanalyse, que le désir d’Antigone vise au-delà de l’Atè (le malheur). Le désir d’Antigone d’enterrer son frère Polynice après sa mort n’est pas qu’un simple événement. Ce désir, brisant la loi de Créon, est quelque chose qui va changer les autres et le monde. C’est une « Nouvelle Vérité » qui va changer la Loi. C’est une nouvelle perception du Réel. Selon Lacan, l’éthique de la psychanalyse est de couvrir le désir profond du sujet et de le laisser être capable de le suivre. Lacan est aussi un créateur lorsqu’il utilise le mot de « Sujet » pour le patient. Et ce terme trouve sa place dans la linguistique. D’après ce que je comprends de lui, l’analyse et/ou le sujet de Lacan est le sujet de ses propres phrases.

Moreno a établit un changement de paradigme avant Lacan lorsqu’il choisit le mot de « protagoniste » qui est à nouveau issu du théâtre antique grec, plutôt que d’utiliser le terme de « patient » ou même de « client ». Le protagoniste n’est pas un « objet » à analyser, à interpréter et à traiter. Il est le co-chercheur de la signification de son histoire et le « créateur » de sa propre vie. Moreno n’a pas écrit sur la pathologie de la psyché mais sur le fait d’agir, de raconter, de choisir, sur la spontanéité, la créativité, la co-créativité, le co-amour, le Créateur humain (god like), les qualités cosmiques de la psyché. Peut-être est-ce mieux d’appeler ça non pas la « psyché » mais l’ « âme », puisque cela semble plus judicieux avec de telles qualités.

Il s’agit d’une position morale envers l’autre, qu’il désigne aussi avec le pronom « tu ». Bien que le titre de son livre « Who Shall Survive » nous rappelle Darwin, il n’abandonne pas la faiblesse des espèces à la mort. Il travaille avec l’isolé, l’exclu, l’inhibé. Il essaie de l’aider à devenir son propre Créateur humain (Godhead) de la vie et du bonheur. En introduisant le terme de protagoniste dans la vie quotidienne, il prenait aussi un rôle psychodramatique du monde de la fantaisie, du monde des arts, au niveau de la réalité.

Les « bonnes » qualités potentielles qui peuvent être atteintes par le biais d’une action pratique, d’une base fonctionnelle, ne sont pas une idée abstraite de la bonté. La spontanéité est une vertu universelle à atteindre. Et c’est la qualité de Dieu. « Afin d’exister de façon significative, nous devons trouver un chemin de créativité et le laisser nous mener à une communication directe et à s’identifier avec le créateur. Ainsi, nous pouvons non seulement faire partie de la création mais aussi du Créateur lui-même. Le monde devient notre monde, le monde de notre choix, le monde de notre création – une projection de nous-même » (Moreno J. L., 1923, traduction de la rédaction).

D’un autre côté, dans la pratique du traitement, Moreno focalise plus sur la conséquence que sur la vertu. La conduite morale est hautement axiologique. Le psychodrame est toujours aussi un axiodrame. Le protagoniste est libre de choisir ses propres valeurs dans toute sa subjectivité. Comme le disent les sophistes : « La mesure de tout est humaine. » En accord avec la tendance philosophique de l’émotivisme, les phrases éthiques ne sont pas évaluées comme des propositions mais comme des attitudes émotionnelles.

Un protagoniste du psychodrame est à la fois universel et unique comme l’est Antigone. Le protagoniste est choisi selon une philosophie égalitariste, aussi tous les membres du groupe sont à égalité pour choisir le protagoniste ou incarner le protagoniste. Un protagoniste est simplement dans la douleur, en conflit avec lui-même ou avec les autres. Il est dans un groupe où chacun se centre sur la guérison. Comme le dit Moreno, toute personne est un ‘guérisseur’ pour l’autre. Contrairement à ce que Jean-Paul Sartre a dit plus tard, « l’enfer, c’est les autres », il voit probablement l’autre côté de la médaille et dit que « le paradis, c’est les autres ». Les deux doivent être vrais.

Comme Antigone dans la scène avec son frère mort comme un oiseau, voici notre protagoniste de psychodrame créant un nouveau monde pour lui-même. Il / elle « transcende la conserve culturelle » et ouvre un cercle vicieux. Son « désir profond » est là et le psychodrame fait comme si cela était réel.

Cette rencontre est la pierre angulaire de la philosophie morale du psychodrame. Et le psychodramatiste est toujours un chercheur participant durant leur rencontre. Comme Howie (2012) l’a exposé, cette situation place immédiatement le psychodrame en dehors de la tradition positiviste-empiriste qui fait partie de la tradition de la philosophie des Lumières. Il devient existentiel et phénoménologique. Cela donne une emphase au monde subjectif, un monde fantasmagorique. Entre-temps, la concrétisation devient possible, ce monde subjectif peut aussi être recherché objectivement.

 

Cet article est le résumé d’une conférence en plénière donnée lors de deux meetings : la 5e Conférence nationale roumaine (2012) et le Meeting annuel de la FEPTO (2017). Le texte original complet, les diapositives de la conférence et les références peuvent êtres trouvés sur le site de la FEPTO sous « Announcements ». Cette version a été adaptée pour le journal Relation et Action avec la permission du conseil de la FEPTO.

 

Références:

Lacan J. (1959-1960) The Ethics of Psychoanalysis: The Seminar of Jacques Lacan, unpublished student notes.

Howie P. (2012) Philosophy of Life: J.L. Moreno. Revolutionary underpinnings of psychodrama and group psychotherapy, (http://www.moreno.com.au/philosophy). Group: The Journal of the Eastern Group Psychotherapy Society, Volume 36.2, pp. 135-146.

Moreno JL (1923, 1941, 1971, 2011) The Words of The Father. The North-West Psychodrama Association, Zoli Figusch (Ed), lulu.com. U.K. p. 13.

Moreno JL (1934, 1945, 1953, 1993) Who Shall Survive: Foundations of Sociometry, Group Psychotherapy and Sociodrama. New York: Beacon House.

Moreno JL and Moreno ZT (1969) Psychodrama Third Volume. New York: Beacon House.

Moreno JD ( 1994) Psychodramatic moral philosophy and ethics. In, Innovations in Theory and Practice. Psychodrama Since Moreno. Paul Holmes, Marcia Karp and Michael Watson (Eds). Routledge, p. 97.

 

Pour citer cet article :

Doganer, I., (2018). L’éthique en psychodrame. Journal Relation et Action. [Consulté le …]. Disponible à l’adresse: https://journal.odef.ch/lethique-en-psychodrame/ .

 

Traduction de l’anglais par Vincent CHAZAUD

 

Date de publication : 12 avril 2018

© Copyright Institut ODeF: Journal Relation et Action, Genève