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Comment les Méthodes d’Action contribuent au savoir-être dans le lieu de travail. La monture à dos d’éléphant et la communication entre cavaliers ; comment les enseigner ?

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par Zoran ILIC.

Si vous voulez changer l’esprit des gens, vous devez parler à leurs éléphants. ― J. Haidt

Les « soft skills » ou “compétences personnelles/humaines” permettent une interaction efficace et productive entre les personnes au sein d’un lieu de travail, ainsi qu’en dehors de celui-ci. La plupart des compétences recherchées par les entreprises sont: l’état d’esprit, la capacité à communiquer, l’intelligence émotionnelle, la gestion du temps et la mise en place d’objectifs. Stanford Research Institute International a déclaré que 75% de la réussite professionnelle à long terme dépend de la maîtrise des « soft skills » et 25% seulement des compétences techniques[i].

Toutes les « soft skills »[1] comprennent un jeu dynamique de pensées, d’émotions et d’actions décrites de manière créative par Timothy Haidt[ii] dans la métaphore d’un cavalier et d’un éléphant. Selon le modèle, le cavalier est rationnel et anticipe, tandis que l’éléphant est irrationnel et conduit par ses émotions et instincts. Un éléphant est beaucoup plus grand et plus fort et est responsable de la force motrice. Le cavalier, qui représente la partie réfléchie de la psyché humaine, peut essayer d’influencer, de stimuler ou de raisonner l’éléphant, mais le cavalier ne peut pas forcer l’éléphant à faire ce qu’il ne veut pas.

Cela se complexifie si le cavalier parle à un autre cavalier d’éléphant, de manière rationnelle et raisonnable, tout en commettant une toute autre erreur. Au début, le cavalier doit prendre en compte son propre éléphant, lui montrer la route, le calmer et créer une harmonie, puis parler à l’éléphant d’un autre cavalier, et enfin au cavalier.

La première question est pourquoi enseigner aux cavaliers à monter un éléphant ? Beaucoup d’attention dans la vie est donnée à la pensée rationnelle et verbale. Par conséquent, nous sommes surpris lorsque nos émotions, nos désirs et nos tentations jaillissent de nulle part. Nous représentons le tout: cavaliers, ainsi qu’éléphants et nous devons rester en harmonie avec les deux.

Le jeu de rôle comme outil de formation efficace

Le jeu de rôle est une interaction spontanée impliquant un comportement réaliste dans un environnement artificiel ou stimulé. Il s’agit d’entretiens lors desquelles les participants reconnaissent un rôle et un ensemble de circonstances. Un « acteur » développe une stratégie pour réagir ou penser dans une situation particulière. Il apprend et prévoit également les réactions des autres « acteurs »[iii].

La technique du jeu de rôle combine différents aspects de l’apprentissage: apprentissage par la pratique, l’imitation, l’observation ainsi que par le feedback, l’analyse et la répétition.

Comment l’action fournit une base pour l’apprentissage ?

L’apprentissage passif et assimilatif est très facile à oublier, alors que Blatner appelle « apprentissage d’accommodation[iv] » l’apprentissage par l’interaction, l’expression de soi, le feedback et l’encouragement, et donc la modification des connexions neuronales. Une approche «montrer, ne pas dire» – génère une expérience qui unifie la pensée, le sentiment et l’action, approfondit et enrichit l’apprentissage et change les résultats.

Les émotions affectent ce que nous apprenons et comment nous apprenons

Le cerveau émotionnel, le système limbique, a le pouvoir d’ouvrir ou de fermer l’accès à l’apprentissage, à la mémoire et à la capacité d’établir de nouvelles connexions. Les individus sont motivés à être engagés dans des situations avec une valence émotionnellement positive et éviter les valences négatives[v]. Ceci est important pour créer un climat positif pendant une formation. Il est également important que les participants s’engagent dans l’apprentissage en prenant conscience de leurs émotions. C’est pourquoi il est essentiel que les jeux de rôles soient très pertinents pour les apprenants (par exemple, demander aux participants de partager leurs expériences de travail difficiles). Les activités de jeux de rôles améliorent l’apprentissage, car elles déclenchent des souvenirs liées à divers contextes émotionnels.

L’apprentissage c’est changer les habitudes

Bien qu’ils soient l’une des espèces animales les plus fortes de la planète, les éléphants peuvent être dominés avec les plus petits bâtons et cordes.[2] Le cerveau adulte change par l’acquisition de nouvelles compétences par l’action. Dans un processus d’apprentissage, il ne s’agit pas seulement d’apprendre une nouvelle compétence, mais aussi de la transformer en une nouvelle habitude. Sur le plan neurophysiologique, nous pouvons maîtriser n’importe quelle compétence en développant plus de myéline autour des axones dans le cerveau. La pratique approfondie, comme l’appelle Coyle, est un processus de répétition, de faire des erreurs et de les réparer. Pour former de nouvelles compétences par les Méthodes d’Action, il est nécessaire de séparer les compétences, puis de les combiner et de les intégrer progressivement dans des séquences significatives. Il est bon de féliciter les participants pour un travail bien fait après chaque séquence adoptée avec succès. Ainsi, la nouvelle habitude est renforcée.

Apprendre est meilleur en groupe

Les affectations de groupe améliorent directement la capacité d’apprentissage et de performance d’une personne. La cognition sociale partagée et la mémoire trans-active[vi] ne mènent pas seulement à l’auto-apprentissage, mais aident également à comprendre la perception des autres sur la tâche ou le problème.[3] Les neurones miroirs jouent un rôle important dans la façon dont nous comprenons les intentions des autres. Le cerveau d’un observateur forme une action qui représente le comportement de l’autre et établit un lien entre faire et communiquer[vii].

Le jeu de rôle est légèrement différent dans sa diversité d’objectifs[viii]:
  1. Acquisition des compétences des participants (développement des compétences comportementales) – a besoin d’être bien structuré et court; un formateur décrit et joue les différents comportements et les stagiaires sont ensuite encouragés à pratiquer leurs compétences dans le prochain exercice de jeu de rôle.
  2. Amélioration des connaissances des apprenants (informations reçues) – Un formateur structure quelques événements critiques à jouer et met en évidence les points à traiter afin de traiter naturellement le contenu d’apprentissage observé par les apprenants. Les « acteurs » développent ensuite leur propre scénario avec le formateur, insistant seulement sur le fait qu’ils prennent en compte les objectifs d’apprentissage.
  3. Enrichissement de l’expérience émotionnelle des stagiaires (conscience émotionnelle et enrichissement). Le jeu de rôle est probablement mieux connu pour déterminer les niveaux de ressenti et la validation possible des expériences émotionnelles liées aux objectifs éducatifs souhaités.
Selon Ian Morris, l’apprentissage implique trois étapes dans le processus cyclique[ix]:
  1. Conscience (prêter attention) – dans lequel un cavalier prend conscience d’un éléphant et réalise ses émotions ;
  2. Intervention (action) – apprentissage réel et par la pratique
  3. Evaluation (réflexion) – comment l’intervention a-t-elle fonctionnée ? Qu’avons-nous appris ?

Ces étapes coïncident avec les Méthodes d’Action découvertes par Moreno dans les années 1930, et avec le travail dans les organisations tel que structurés par N. Apter.[x].

  1. Préparation, créer une zone de sécurité et s’échauffer

Dans cette partie, nous discutons d’un atelier de formation avec les cadres intermédiaires de l’entreprise, c’est-à-dire la préparation de l’évaluation annuelle des performances – le dialogue avec les collègues. Les sujets des dialogues sont portés sur les retours de l’année précédente, les objectifs de performance annuels et le développement et le soutien des employés afin qu’ils puissent atteindre ces objectifs.

La finalité du dialogue est d’examiner les objectifs, d’évaluer les progrès et de discuter du développement. Le groupe a déjà passé la formation de feedback, selon le modèle de feedback -BIFF- Behavior (Comportement), Impact, Feeling (Ressenti), Future (Avenir).[4]

Bien que ce modèle soit une évaluation des compétences, il implique une grande quantité d’émotions.

Le formateur définit avec soin les buts et objectifs et rappelle au groupe les règles de confidentialité et de responsabilité[xi].

Echauffer tout le groupe est nécessaire pour établir la confiance et renforcer la spontanéité. Nous avons décidé de commencer par présenter aux participants uniquement les retours positifs qu’ils ont reçus de leurs patrons lors de leur dialogue précédent, afin d’augmenter leur confiance en eux.

Après cela, ils se sont tenus sur une ligne de 0 à 10, estimant leur enthousiasme et leur motivation pour de futurs Dialogues. Ensuite, ils se sont séparés par paires et ont réfléchi sur les situations du dernier Dialogue qu’ils ont trouvé difficiles. Après un brainstorming, ils ont choisi le défi le plus récurrent et le plus important pour le jeu de rôle. C’était une situation où un employé était agressif, niant les observations du manager après avoir reçu une évaluation négative.

  1. ACTION -jeu de rôle

Le segment de jeu de rôle exige au moins 15 minutes pour donner suffisamment de temps aux « acteurs » pour entrer dans l’ambiance requise et susciter des interactions qui évoquent des émotions.

Il est important de laisser les « acteurs » être aussi spontanés et authentiques que possible, sans être interrompus par d’éventuelles critiques et pressions de « faire juste ». Cela peut minimiser les « acteurs », déclencher une réticence et diminuer la motivation des participants. Parfois, il est utile de créer une atmosphère expérimentale et ludique voir même délibérément jouer un dialogue qui ne fonctionne pas, puis celui qui pourrait fonctionner.

Deux bénévoles ont été invités à jouer un rôle d’employé et son manager. Le premier tour fut sans interruption. Le deuxième tour fut avec les mêmes volontaires, mais cette fois avec le renversement de rôles (une technique qui permet aux « acteurs » de jouer un rôle de l’autre et de faire l’expérience des pensées et sentiments d’un autre joueur) et les doubles (une technique qui permet aux autres participants se tenir derrière le personnage et exprimer des pensées et des sentiments non-dits).

L’ensemble du groupe a été invité à observer les « acteurs » sur deux niveaux – les compétences BIFF et le niveau émotionnel. Le sentiment dominant dans les deux rôles était la colère, facilement déclenchée chez un employé par le feedback négatif du manager. Après quelques changements de rôles, le manager s’est montré plus souple et ce changement d’attitude a procuré du calme et un comportement moins défensif de la part de l’employé. Le groupe et les participants tous deux ont aidé à doubler alternativement. Le formateur a gelé l’action une fois et a demandé au groupe de doubler. Tous les participants étaient échauffés et une action spontanée a eu lieu avec beaucoup de doublages. Ce fut même encore mieux lorsque les participants ont inversé les rôles avec l’employé. Plus les participants ont reconnu la frustration d’un employé en colère, plus l’approche du manager a été conciliante. Lorsque les émotions se sont calmées, il fut plus facile d’apprendre par l’action et d’appliquer le modèle BIFF.

Après le débriefing, tout le groupe a travaillé en créant une rotation de jeux de rôles: un participant était le manager, l’autre était l’employé et le troisième était l’observateur. Ce fut un exemple d’apprentissage par l’action.

  1. EVALUATION – Evaluation, analyse du processus de groupe, partage (mise en commun) et débriefing

Le débriefing est une étape d’apprentissage essentielle dans tout l’exercice. Dans un jeu de rôle avec implication émotionnelle, il y a toujours des risques d’expérience personnelle plus forte que d’habitude, des sentiments mal placés ou une projection de sentiments qui n’appartiennent qu’au rôle et à son contexte. Les « acteurs » peuvent être gênés d’être le centre d’attention, ce qui peut conduire à un échec éventuel à jouer les rôles de manière appropriée.

Après le « dérôlage » simplement en disant leur nom et en “se secouant”, les participants sont priés par le formateur de partager –en Méthodes d’Action on appelle cela mettre en commun-, ce qui est important pour prendre conscience des sentiments ; les observateurs sont maintenant en action verbale – pas d’analyse, pas de conseils, juste le lien de leurs émotions lors de l’action avec leur situation professionnelle. Toute analyse, critique et conseil sont découragés par les formateurs, car ils conduisent à démotiver les « acteurs ». Tout d’abord, le participant dans le rôle du manager dit comment il se sentait et à quel point il était satisfait, puis le retour est donné par le rôle de l’employé.

Le partage émotionnel est à la base de certains types de partage cognitif et d’apprentissage (des éléphants aux cavaliers). Cette partie s’appelle Mettre en perspectives. Les participants mettent en évidence les points d’apprentissage en fonction d’éléments significatifs de l’action.

Puisque le processus d’apprentissage nécessite de changer les vieilles habitudes et d’en établir de nouvelles, la formule 3 peut être appliquée. D’après B. J. Fogg[xii], pour créer une véritable habitude tout au long de la vie, l’accent devrait être mis sur la formation du cerveau pour réussir à un petit ajustement, puis gagner de la confiance de ce succès. “Chaque fois que … (un signal) au lieu de … (une vieille routine) je ferai… (nouveau comportement)” amène vers la formation de nouvelles habitudes. Avec le coaching et l’application dans le travail quotidien, une routine apprise et nouvelle est en cours d’adoption.

Conclusion

Les « Méthodes d’Action » sont un outil de formation puissant pour le développement des compétences humaines et sociales. Il fournit des bases pour l’apprentissage en engageant les participants et les stimule à réfléchir à leur propre contexte. Dans un climat sûr et positif, ils sont capables de modifier leur état émotionnel et de permettre l’introduction de nouveaux comportements. Les participants ont la possibilité (et le temps) de mettre en pratique ce qu’ils ont appris et de faire des erreurs. Cela aide à développer une perspective plus large de la tâche à accomplir. Une meilleure compréhension du comportement des autres se traduit par de l’empathie, du travail d’équipe, une meilleure communication, des compétences interpersonnelles et le développement du management. Il crée la reconnaissance des valeurs positives et enrichit l’interaction positive entre les employés.

 

Notes:

[1] Dans les formations de « soft skills » (compétences sociales), les Méthodes d’Action sont irremplaçables pour : la communication (relation de travail, écoute active, techniques de questionnement …), la gestion des conflits, la gestion du stress, l’établissement de buts, la prise de parole en public, le leadership, la résolution de problèmes, la prise de décision, le team building, les compétences de ventes. etc.

[2] Les dresseurs attachent l’éléphant à des troncs énormes avec de grandes cordes quand ils sont jeunes. Le jeune éléphant tire et tire jusqu’à épuisement, et ils apprennent bientôt qu’ils ne peuvent pas bouger lorsqu’ils sont ligotés. Les dresseurs utilisent alors des cordes et des bâtons de plus en plus petits, mais les éléphants ne les tirent jamais. Ils ont appris qu’ils ne peuvent tout simplement pas bouger lorsqu’ils sont ligotés.

[3] C’est l’histoire d’un groupe d’aveugles qui n’ont jamais rencontré un éléphant auparavant et qui apprennent et conceptualisent ce qu’est l’éléphant en n’en touchant qu’une partie. Le jeu de rôle peut aider à intégrer différentes perceptions et améliore l’apprentissage.

[4] B – Behavior (Comportement): la description spécifique de ce que la personne ayant reçu le feedback a fait; I – Impact: Quels résultats ce comportement a-t-il eu sur l’employé, les collègues ou la performance? F – Future (Avenir): Ce que le manager attend en termes de comportement ou de performance, de recommandations d’amélioration, de définition d’objectifs et de prise en charge du développement; F – Feelings (ressenti): Un aperçu d’où se situe émotionnellement le récepteur du feedback après avoir reçu le feedback.

 

Références:

[i] Klaus P. The Hard Truth About Soft Skills—Workplace Lessons Smart People Wish They’d Learned Sooner. Collins. 2008.

[ii] Haidt J. The Happiness Hypothesis: Finding Modern Truth in Ancient Wisdom. Basic Books. 2006.

[iii] Raelin, J. A., & Coghlan, R. (2006). Developing managers as learners and researchers: Using action learning and action research. Journal of Management Education, 30(5), 670–689.

[iv] Blatner A. Skill learning (Chapter 12, pg. 126), in Foundations of Psychodrama: History, Theory, and Practice (4th ed.) New York: Springer. 2000.

[v] Chai M. Tyng, Hafeez U. Amin, Mohamad N. M. Saad, and Aamir S. Malik. The Influences of Emotion on Learning and Memory. Front Psychol. 2017; 8: 1454.

[vi] Moreland, R. L., Argote, L., & Krishnan, R. (1996). Socially shared cognition at work: Transactive memory and group performance. In J. L. Nye & A. M. Brower (Eds.), What’s social about social cognition? Research on socially shared cognition in small groups (pp. 57-84). Thousand Oaks, CA, US: Sage Publications, Inc.

[vii] Baim C, Burmeister J, Maciel M. Psychodrama: Advances in Theory and Practice., 2007 Routledge

[viii] Maier HV. Role playing: Structures and educational objectives The Journal of Child and Youth Care Volume 4 Number 3, 1989

[ix] Morris J. Teaching Happiness and Well-Being in Schools: Learning to Ride Elephants. Continuum International Publishing Group. 2009.

[x] Apter N. (2011) Using Action Methods for training in Institutions, Companies and Organizations. Mercurius. Moreno Institute

[xi] Walter F. Baile, Adam Blatner. Teaching Communication Skills. Simulation in Healthcare: The Journal of the Society for Simulation in Healthcare, 2014; 9 (4): 220

[xii] BJ Fogg. Tiny Habits, http://tinyhabits.com/.

 

Pour citer cet article :

Ilic, Z., (2018). Comment les Méthodes d’Action contribuent au savoir-être dans le lieu de travail. La monture à dos d’éléphant et la communication entre cavaliers; comment les enseigner ?. Journal Relation et Action. [Consulté le …]. Disponible à l’adresse: https://journal.odef.ch/comment-les-methodes-daction-contribuent-au-savoir-etre-dans-le-lieu-de-travail-la-monture-a-dos-delephant-et-la-communication-entre-cavaliers-comment-les-enseigner/

 

Traduction de l’anglais par Lorenzo MORENO

 

 

 

 

Date de publication : 12 avril 2018

© Copyright Institut ODeF: Journal Relation et Action, Genève