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Tu veux ou tu veux pas ? Le psychodrame avec des jeunes en situation de crise

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Eve Courty, psychiatre, et Delphine Robillard, psychologue, travaillent toutes deux à l’unité Pass-Aje du CHU de Clermont-Ferrand avec des jeunes patients de 16 à 25 ans en crise. Nous avons profité de leur venue au Symposium 2016 Plaisir et Tension pour en savoir plus sur leur travail avec ces patients et sur l’utilisation qu’elles font du psychodrame.

Eve COURTY et Delphine ROBILLARD interviewées.

ODeF : Pourquoi le choix du titre “tu veux ou tu veux pas ” pour votre atelier au symposium ?

Eve Courty (E. C.) : Il s’agit en fait du titre d’une chanson humoristique française des années 60 et qui est devenue une expression populaire chez nous. Il exprime assez justement le positionnement des jeunes dont nous nous occupons et qui au seuil de leur vie adulte se demandent : j’y vais, j’y vais pas ?, je veux, je veux pas. Ils sont tiraillés entre l’envie de grandir et d’aller de l’avant et la peur que cette envie suscite.

Delphine Robillard (D. R.) : A cet âge, ils sont dans une zone où ils veulent aller vers un plus de vie en empruntant le chemin de la maturité et en même temps, ils ont peur. Cela colle assez bien avec le thème du symposium (Plaisir et Tension), c’est du moins comme cela que nous le ressentons. Travailler l’ambivalence de nos patients entre leurs envies, leurs désirs et la façon dont ils sont pétrifiés face à tout cela.

ODeF : Où travaillez-vous et qui sont vos patients ?

E. C. : Nous travaillons dans une unité de soin du CHU de Clermont-Ferrand. Nous nous occupons de l’accueil et de l’évaluation de jeunes de 16 à 25 ans dans des situations de crise. Il s’agit, dans la plupart des cas, de crises suicidaires, c’est-à-dire des jeunes qui ont voulu se tuer ou qui sont envahis par des idées suicidaires. Mais il peut aussi s’agir de patients qui sont en rupture avec leur famille, qui ont fugué après de violents clashes, etc. Ils sont hospitalisés pour des durées courtes (environ un mois), pendant lesquelles nous tentons de comprendre avec eux, d’évaluer les différents facteurs intra psychiques, relationnels, sociaux qui les ont conduit à l’impasse suicidaire.

ODeF : Comment se passe une séance de psychodrame au sein de votre unité de soin ?

E. C. : Elles sont co-animées par nous deux, c’est-à-dire par une psychiatre et par une psychologue. Il peut parfois y avoir un infirmier ou un autre professionnel présent, qui fait alors partie du jeu psychodramatique. Nous travaillons avec des groupes de jeunes en cours d’hospitalisation ; il ne s’agit donc pas d’un groupe fermé, puisque nous nous réunissons tous les 15 jours, avec les patients qui sont présents et hospitalisés à ce moment-là. La composition du groupe est donc très changeante, et le nombre de participants peut aller de 6 à 10.

Les deux animateurs prennent un temps pour choisir un thème de séance en accord avec la thématique du groupe.

D. R. : Le déroulement de la séance suit le modèle classique d’une séance de psychodrame. Nous commençons par un échauffement, particulièrement important avec ces jeunes adultes. Ils ont besoin d’un cadre sécurisant, par rapport à leur dimension narcissique et à la vision positive d’eux-mêmes. Ils ont besoin de tester, d’expérimenter le fait que ce n’est pas dangereux pour eux, et de sentir que ce n’est pas un piège. Les règles de confidentialité sont rappelées ; ils sont aussi sécurisés par le côté ludique de la séance.

Ensuite vient la phase de l’action. Elle prend la forme soit d’un travail en groupe sur un thème (par le biais de Méthodes d’Action autour d’un thème qui les rassemble), soit d’un travail du groupe à partir de vignettes, etc. L’ambivalence est traitée avec des outils aussi divers que des cartes, des photos… ou encore un exercice d’échauffement permettant de symboliser différents positionnement par rapport à un choix : quatre cases sont représentées au sol, sur lesquelles se positionner, et symbolisant quatre places possibles : le pour faire quelque chose, le contre faire quelque chose, le pour ne pas le faire, le contre ne pas le faire. Ils peuvent passer d’une case à l’autre. La même idée existe sous la forme de deux fauteuils, l’un dans lequel on défend le pour, l’autre dans lequel on défend le contre. L’idée est aussi d’échauffer au changement de rôle ceux qui ne connaissent pas forcément le principe. Dans tous les cas, nous avons remarqué que les patients nous ramenaient à l’ambivalence dans leurs prises de décision, que nous les ayons aiguillés dessus ou pas !

Enfin, nous insistons également sur la phase du partage. Ils arrivent très bien, en général, à respecter la consigne (dire en quoi ce qui a été joué fait écho à leur propre histoire), à ne pas s’en écarter, à ne pas interpréter pour les autres. Ils parlent d’eux pour faire un lien avec leur propre histoire.

ODeF : Quels sont les intérêts et les apports de la technique psychodramatique auprès des jeunes accueillis dans votre service ?

D. R. : Depuis que cette approche a été mise en place, on observe très clairement des bénéfices. Ayant l’habitude de travailler avec des adolescents depuis longtemps, nous connaissons la difficulté majeure qu’ils éprouvent à mentaliser leur souffrance, à la penser, à prendre le temps et à avoir la capacité de la mettre en mots. C’est une souffrance qu’ils ressentent, bien sûr, mais la décortiquer à ce moment-là de leur vie est une véritable difficulté. La technique du psychodrame offre une visualisation du conflit intrapsychique et permet d’avoir accès plus complètement et rapidement à la véritable complexité de ce qu’ils ressentent. En la mettant en scène, ils la voient, et cela supplée à leur capacité de la penser, de la mentaliser ou de la verbaliser. Pour parler concrètement, si nous leur demandions de manière classique la cause de leur souffrance, ils répondraient quelque chose comme « C’est de la faute de ma mère/de ma copine », par exemple. Le psychodrame leur permet donc d’approcher une certaine complexité.

E. C. : En outre, ils nous connaissent dans nos rôles respectifs de psychiatre et de psychologue, il y a donc pour eux un effet de surprise agréable lorsque nous avons un rapport différent à eux, dans le cadre de ces séances. Ils sont surpris de la manière dont on peut oser, dans le psychodrame. Lors du partage, nous nous livrons nous-mêmes quelque peu, ils nous voient aussi en mouvement, et cela, ils n’en ont pas l’habitude. Il s’agit ici d’ôter l’espèce de barrière invisible entre nous, adultes soignants, et eux, jeunes soignés. Ils nous vivent différemment, et lors de rencontres plus formelles par la suite, nous constatons que ce travail a eu comme effet de les « déverrouiller ».

D. R. : Il est difficile, pour eux, de prendre le temps, de voir ce qui va leur arriver et de se comprendre. Cette expérience est difficile pour des adultes, elle l’est d’autant plus pour un adolescent qui n’a jamais expérimenté cette attitude-là. Le cadre du psychodrame fait que l’on va passer par une visualisation de la problématique et rend le travail de décryptage, nécessaire pour la prévention du suicide, plus aisé. C’est un travail de décryptage, certes, mais nous n’apportons pas de discours stéréotypés, de solutions toutes faites. Le schéma ne consiste pas à venir nous apporter un problème que nous devrions démêler. Il s’agit de quelque chose de plus actif, où l’on est ensemble. Nous ne sommes pas les bons docteurs devant se débrouiller avec leurs problèmes. Nous co-construisons sans délivrer de réponse ou de solution miracle !

ODeF : Et quelle est la place du psychodrame en France et dans votre région ?

E. C. : De manière générale, le psychodrame humaniste et morénien est très peu connu en France, à notre connaissance.

D. R : Le psychodrame analytique, l’approche psycho-pharmacologique ont été prépondérants. Maintenant, on parle davantage de la thérapie comportementale et cognitive. Mais le psychodrame humaniste n’apparaît pas beaucoup dans les modèles cités. En Auvergne, nous pouvons sans trop de doute affirmer que nous sommes les seules à le travailler, avec deux autres collègues qui sont passés par chez nous ! Il y a en tout cas de fortes disparités de pénétration du psychodrame selon les régions et les pays.

 

Interview d’Eve COURTY et de Delphine ROBILLARD réalisée par Vincent CHAZAUD.

Date de publication : 25 octobre 2016

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