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Oh non, encore un jeu de rôles ?! Et pourtant…

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Par Vincent CHAZAUD.

 

Introduction

… Et pourtant je suis invité, en ce mardi midi, à participer à un lunch-atelier visant justement à « maximaliser le jeu de rôles formatif », à savoir que celui-ci devrait être mené à travers « une méthodologie sécurisante, sécurisée, efficace et productive » ; voilà ce qu’annonce son descriptif. Norbert Apter, qui mène l’atelier, explique que lorsqu’il propose de se mettre en place pour un jeu de rôles, « la réaction est souvent de s’exclamer : ‘Oh non, encore un jeu de rôles ?!’… car celui-ci ne s’est pas forcément bien passé, lorsque mené de manière intuitive ». Et en effet, une méthodologie mise en place par J. L. Moreno existe depuis les années 1930-1940 déjà ! C’est pourquoi il s’agit aujourd’hui, pour la quinzaine de participants réunis, formateurs, psychologues, psychodramatistes et autres coaches, formateurs et comédiens, d’avoir un avant-goût du jeu de rôles en y prenant part tout en s’observant y prendre part, afin de pouvoir l’utiliser de manière optimale.

Les cinq phases du jeu de rôles – une 6e pour les participants du jour

Les participants du jour souhaitent donc tous pouvoir potentiellement utiliser le jeu de rôles dans leurs domaines professionnels respectifs. C’est pourquoi ceux-ci, après avoir déjà pu réseauter et échanger quelques mots autour du buffet offert – comme à chaque lunch-atelier par l’Institut ODeF – sont invités à prendre place sur les chaises disposées en rond dans une moitié de la salle et à se présenter en quelques mots.

Ensuite, Norbert Apter nous explique les deux plans sur lesquels nous allons jouer durant cette grande heure :

  • d’un côté, tels des participants lambda, nous allons participer à un jeu de rôles sur le thème du conflit, en reprenant les 5 étapes habituelles de cet exercice ;
  • d’un autre, nous allons nous observer jouer et réfléchir sur notre performance du jour.

Les cinq grandes phases du jeu de rôles nous sont donc résumées :

  1. L’échauffement: les membres du groupes doivent : faire connaissance entre eux ; prendre connaissance du thème (qui sera, aujourd’hui, imposé : la gestion de conflits) ; faire connaissance avec le formateur ; et s’échauffer à l’action ; enfin, le formateur lui-même doit s’échauffer. Cela vise à permettre à l’action de pouvoir commencer dans des conditions optimales, dans un groupe qui osera, par conséquent, entrer plus franchement dans l’action.
  2. L’action : le jeu lui-même, qui dure souvent entre 3 et 5 minutes, mais qui peut aller bien au-delà, en fonction du temps à disposition et des objectifs recherchés
  3. La mise en commun (ou « partage », dans le vocabulaire du psychodrame morénien) : chacun dit en quoi ce qu’il vient de voir être joué résonne en lui ou avec lui-même dans son histoire professionnelle, etc.
  4. La mise en perspective : où l’on cherche ce qu’on peut tirer de l’expérience qui vient d’être menée, ce qui a été approprié, efficace, et comment on aurait pu faire autrement ce qui ne l’était pas, etc.
  5. Que va-t-on en faire dans sa pratique professionnelle ? Comment vais-je mettre à profit ce que j’ai pu expérimenter et comprendre de ce qui vient de se passer durant les 4 phases précédentes ?

Nous allons donc participer à un jeu de rôles en suivant scrupuleusement ces phases, sans poser de questions sur la méthodologie utilisée, mais comme si Norbert Apter nous enseignait la gestion de conflit. Néanmoins, les participants réunis ne recherchent pas simplement à effectuer un jeu de rôles, mais plutôt à comprendre de quelle manière celui-ci peut être mis à profit dans le cadre d’une méthodologie claire. C’est pourquoi une sixième phase va nous occuper à la suite des cinq étapes habituelles :

  1. nous allons clôturer l’atelier en effectuant une nouvelle mise en perspective non sur ce qui résonne en nous de ce qui vient d’être joué (il s’agirait alors du point 3), mais plutôt sur nos impressions et réflexions quant à la méthodologie qui nous aura été présentée, que nous aurons expérimentée et que nous pourrions réutiliser dans nos domaines professionnels respectifs. Une sorte de feedback sur la méthodologie entourant une activité à laquelle nous avons nous-mêmes participé !
L’échauffement

Il existe une pléthore de manières de faire s’échauffer un groupe. Les participants sont invités à sortir de l’espace de discussion et à se rendre dans l’autre moitié de salle, debout en cercle.

Les exercices suivants sont utilisés aujourd’hui pour l’échauffement du groupe et du formateur :

  • Chacun va serrer la main d’un autre participant en disant son propre prénom. Dans un second temps, plusieurs participants peuvent le faire en même temps.
  • Chacun va serrer la main d’un autre participant en disant quelle est sa propre profession.

Puis on passe à l’échauffement au thème

  • Un exercice de sociométrie est proposé : à plusieurs reprises, un participant peut se mettre au milieu du cercle et exprimer un avis sur le thème de la gestion de conflit (« J’aime les conflits », « Les conflits sont énergivores », etc.) et ceux qui sont d’accord avec l’affirmation se rapprochent de celui qui l’a énoncée, tandis que les autres s’en distancient. Cela permet de tracer dans l’espace un schéma (ou histogramme).
La salle de la discorde

Pour ce jeu de rôles ayant pour thème la gestion de conflit, il est suggéré de procéder à un jeu semi-fictif, à savoir que le but n’est pas de reconstituer, sur la scène, une situation réelle (cela risquerait alors d’aller trop loin et de devenir un psychodrame), mais d’introduire dans les personnages qui vont être joués ce que l’on voudrait figurer d’attitudes, de comportements que l’on a cernés et identifiés chez des personnes que l’on a pu côtoyer dans la vie de tous les jours.

Le groupe est séparé en deux : ceux qui vont jouer, ceux qui vont observer (l’audience).

  1. La moitié de groupe qui joue doit préparer une situation conflictuelle. Elle dispose de cinq minutes pour s’accorder sur un lieu, des personnages et une action, du moins son prétexte (pourquoi est-on là ? quel est le problème ?). Pas de scénario : le reste tiendra de l’improvisation. Chacun mettra dans son personnage prédéfini ce qu’il veut y mettre, les ingrédients qui peuvent être utiles à tous, puisque les personnes présentes sont censées être en formation sur la gestion de conflit. Les participants enlèvent le badge où était inscrit leur prénom et ont pour consigne que, dès qu’ils entreront sur scène, ils deviendront le personnage. Nul besoin d’être bon acteur, bien sûr, juste d’y mettre des éléments intéressants dans le cadre d’un conflit. Toutefois, la scène doit être réaliste, afin que l’on puisse en tirer quelque chose sans se poser, plus tard, la question de la pertinence du jeu de rôles.
  1. L’audience va observer (et non juger) les postures et comportements des personnages ; évaluer le taux de tension entre 0 et 10 dans les différents moments de la scène jouée ; tenter d’établir un lien entre certains comportements et le taux de tension à ce moment-là (augmente-t-il, baisse-t-il ?). Notre formateur précise : il ne faut pas rire (la consigne est valable pour tous), ni se faire entendre ; l’audience doit se faire la plus discrète possible.

Enfin, une indication pour tous : l’objectif de ce jeu de rôle ne sera pas de résoudre le conflit mais bien de le voir, afin de cerner quelles sont les dynamiques présentes. Nos acteurs ont cinq minutes pour évoluer sur la scène improvisée dans une moitié de salle.

Le groupe d’acteurs a choisi une situation somme toute banale lorsqu’on parle de conflit : une salle de conférences a été réservée dans un grand hôtel de la ville par deux groupes simultanément. Le secrétariat n’a pas remarqué l’erreur et la direction est ensuite appelée pour tenter de trouver une solution – ou pour qu’on se passe les nerfs dessus. Evidemment, la tension monte très vite, les deux groupes se pensant dans leur droit.

Le formateur n’hésite pas à utiliser diverses techniques d’action moréniennes, par exemple à couper l’action par un arrêt sur image, un « temps mort » : celui-ci est mis à profit pour demander à tel ou tel personnage ce qui se passe pour lui à un moment donné du jeu, pour lui demander d’intensifier telle ou telle émotion.

Il demande également une personne de l’audience pour jouer le double, la petite voix intérieure de l’un des personnages, pour lui souffler ce qu’elle pourrait ressentir à tel moment de l’action, le personnage du jeu reprenant ou non à son compte ce qui lui a été suggéré. A une autre personne de l’audience, Norbert Apter demande ce qu’elle voit.

Enfin, alors que chaque personne a pu se mettre en scène et jouer, que l’action a pris le temps imparti, la phase d’action se termine et chacun est invité à récupérer son badge et à revenir s’asseoir dans l’autre moitié de salle.

Retour sur l’action

Norbert Apter demande aux participants ce qu’ils ont ressenti, quelles ont été leurs sensations et si celles-ci ont représenté quelque chose qui résonnait avec leur vie, leur quotidien professionnel.

A ce propos, les réponses fusent pour citer quelques éléments repérés comme faisant écho à une situation personnelle, dans la famille ou dans le milieu professionnel, chez soi ou chez quelqu’un d’autre :

  • le brouhaha induit par le conflit comme quelque chose d’insupportable
  • L’urgence de trouver une solution le plus rapidement possible
  • Le sentiment d’urgence vécu comme agressif
  • Le fait de se défendre avant même de chercher à comprendre le problème
  • Laisser le conflit se dérouler, lorsqu’on voit qu’il n’y a pas de solution
  • Une participante dit s’être lâchée en jouant son rôle, tant elle ne se voit pas résoudre ses problèmes sous cette forme-là (à savoir celle des cris et de la tension qui monte)
  • Etc.

A l’audience, Norbert Apter a ensuite demandé quels comportements ont pu être observés, quel taux de tension et, enfin, si des liens entre ces comportements et des niveaux de tensions ont pu être déduits :

  • Le doigt pointé en a appelé un autre et a été interprété comme agressif et violent
  • La couleur du visage, virant au rouge pendant un moment de tension
  • La distance a parfois freiné l’agressivité
  • Le recours au téléphone à la hiérarchie comme pouvoir suprême
  • Les déplacements, associés à une montée de tension : certains personnages, acculés, reculent et se retrouvent presque coincés dans cet espace clos.
  • Etc.

Le formateur, en quelques phrases, demande aux participants de résumer ce que l’on peut donc en tirer au tableau dans les grands traits :

  • Etre attentif à l’espace vital
  • Pas d’espace = danger
  • Etre à l’écoute car le manque d’écoute est souvent vécu comme un manque de considération
  • Soigner le ton
  • La colère (ou la frustration) ≠ agressivité
  • Etc.
La clôture : sortir du jeu de rôles et se pencher dessus

Comme précisé plus haut, le public ayant été aujourd’hui composé de personnes allant peut-être utiliser, à l’avenir, le jeu de rôles, notre formateur du jour a proposé de clôturer la séance par une réflexion sur le jeu de rôles et sa méthodologie expliquée ici succinctement, ce que de « simples participants » ne seraient évidemment pas invités à faire. Il s’agit ici d’une démarche purement formative qui n’aurait pas sa place dans un travail de professionnel auprès d’une entreprise ou autre ; une mise en commun non des acteurs et de l’audience du jeu de rôles, mais des formateurs qui se sont observé jouer…

Les formateurs en puissance ont donc relevé les points suivants :

  • Etant donné que le sujet du lunch-atelier était le jeu de rôles, il a bien entendu été intéressant de se pencher sur le sujet non par un cours théorique, mais en action !
  • Structurer permet de sécuriser le jeu de rôles
  • Le sérieux du jeu en promeut l’efficacité
  • Le fait de rajouter des techniques d’action dans le jeu le maximalisent
  • L’atelier a permis de mettre des mots sur des choses que l’on a l’impression de bien connaître de l’intérieur
  • Il a été positif de prendre le temps (par exemple pendant la mise en commun et la mise en perspective) et sans être dans le jugement.

Le formateur, pour conclure, souligne l’importance d’évaluer à l’avance le temps que cela prendra… et en profite pour clore le séminaire avec quelques minutes de retard – précisons que le retard avait été annoncé et accepté par tous. Les participants ont également fait part de leur satisfaction à la fin de l’atelier !

Date de publication : 20 janvier 2016

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