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Une formation internationale en thérapie transgénérationnelle est lancée

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Micaela SANTOS BROSCH a participé au séminaire introductif de l’International School of Transgenerational Therapy, qui s’est déroulé à Paris du 17 au 19 avril 2015. Nous l’avons rencontrée pour aborder quelques notions de thérapie transgénérationnelle, son application et la place qu’y tient le thérapeute.

ODeF : A qui était destiné ce séminaire introductif ?

Micaela Santos Brosch (M. S. B.) : Il était destiné à des thérapeutes en général. Il y avait parmi nous des psychologues, quelques psychiatres, divers psychothérapeutes, qui venaient avec différentes approches (jungienne, psychodrame entre autres).

Anne Ancelin Schützenberger a beaucoup décrit les mécanismes de transmission transgénérationnelle, thème qui a également été abordé par d’autres praticiens phare comme le psychiatre hongrois Ivan Boszormenyi-Nagy, l’un des pères de la thérapie familiale, qui a notamment introduit le concept de « loyauté familiale invisible » ; ou encore les psychanalystes N. Abraham et M. Torok, pionniers dans la conceptualisation des « fantômes psychiques » dans le transgénérationnel. Son originalité, qu’elle transmet à travers l’International School of Transgenerational Therapy, est d’amener le psychodrame comme espace de narration médiatisé par « l’Etre en scène », où corps et psyché deviennent indissociables. Cet aspect d’ « action incarnée » me semble fondamental pour « atteindre » en thérapie les « couches », les « morceaux » de l’Etre où le transgénérationnel est présent. Ces zones de non-sens, de répétition de l’énigmatique, d’hérédité impensable gardent souvent un contenu « imprimé » dans le ressenti, le vécu, le corps, qui n’ont pas été pensés et ne sont donc pas, en tout cas dans un premier temps, traduisibles en mots. La mise en action, en scène, de gestes, rêves, histoires, positionnements face à l’autre, active directement le corps, le vécu, permettant de trouver des ponts vers ces contenus enfouis, non représentés en mots ou en images, mais plutôt « adoptés » ou « absorbés » dans une mimique, une posture symbole, par exemple, d’une loyauté invisible à un être cher.

Les deux formations de Anne Ancelin Schützenberger avec J. L. Moreno, en psychodrame, d’une part, et avec plusieurs tenants de la psychanalyse de son époque (Dolto, Foulkes), d’autre part, a abouti à une mise en commun des hypothèses psychanalytiques touchant à la transmission inconsciente et du dispositif psychothérapeutique psychodramatique. Cette « appartenance duale », pas toujours paisible, semble avoir été néanmoins très fertile pour le processus de développement de son approche spécifique dite aussi « psychogénéalogique ». Anne Ancelin Schützenberger était présente à Paris et a pu nous parler avec humour de cette relation imbue de paradoxe : « Ah, Moreno, si je n’étais pas en charge de transmettre son corpus de savoir (legacy), je serais contre lui ».

ODeF : Avec, en outre, la présence de divers formateurs (Manuela Maciel, Yaacov Naor, Leandra Perrotta), quelle forme a pris ce séminaire ?

M. S. B. : Il y a eu tout d’abord des exercices d’immersion. Nous étions un peu moins d’une trentaine ; par exemple, les formateurs nous ont demandé de nous répartir par paires. Chacun devait prendre le rôle d’un ancêtre de son comparse, lui poser la main sur l’épaule tout en restant derrière lui (ainsi le comparse ressentait le contact physique de la main mais n’avait pas de contact visuel avec l’« ancêtre ») et lui dire des mots que cet ancêtre aurait à lui transmettre. Le protagoniste avait préalablement décrit très brièvement son lien à cet ancêtre et quelques traits caractéristiques pour permettre au comparse de s’approprier le rôle. Ensuite, il y eut des renversements des rôles qui permirent d’affiner, de peaufiner le rôle et d’être au plus proche de la réalité ou de l’imaginaire vécus par le protagoniste.

Dans un second temps, menés par Manuela Maciel, nous avons élargi ce vécu de lien avec un ancêtre à travers un jeu de corps en mouvement représentant d’abord la naissance d’un oisillon accueilli par sa mère et ensuite le mélange des différents « couples mère-oisillon » dans une espèce de « danse d’ouverture au monde ». Cette manière de faire, incarnée, peut se révéler très efficace dans la levée des défenses et l’accès à des vécus imprimés dans le corps et normalement inaccessibles.

D’autres exercices d’échauffement ou « brise-glaces » ont été effectués pour constituer la « peau groupale », pour apporter de la sécurité dans le partage de vécus qui pouvaient être très touchants pour les participants. Ce qui était original était l’utilisation dans ces exercices de rituels tribaux ou claniques réalisés dans différentes régions du monde, avec la description du contexte et de l’objectif de chaque rituel dans son origine. Cette façon de faire rendait les exercices spécialement forts dans le développement d’un sentiment d’appartenance « humaine », permettant aux uns et aux autres, venus de plus de 10 pays et de 3 continents différents, de se sentir « inscrits » dans un maillon de transmission générationnelle quelque part universel.

Dans un troisième temps, menés par Leandra Perrotta, chacun était invité à partager un rêve qu’il avait fait. Après mise en commun, nous avons dû décider sur lequel nous allions travailler ensemble, quel rêve semblait toucher, prendre du sens, pour le plus de participants.

Entre-temps nous avons abordé des concepts-clé de l’approche thérapeutique des éléments transgénérationnels (ndlr : que nous développons plus loin), A travers notamment les expériences et les questions des participants, sans exposé théorique systématisé. Il s’agissait plutôt d’approcher ces concepts-clés par le biais de la mise en action. Des articles clefs ainsi que des listes de références ont été fournis en fin de formation ce qui a permis, quelque part, de suivre le même « enchaînement chronologique » que nous souhaitons déclencher en thérapie : un vécu suivi d’une reconnaissance, d’une mentalisation, d’un tri, d’une intégration consciente et pensée dans l’identité du moment présent. Pour reprendre Goethe, cité à plusieurs reprises par Freud : « Ce dont tu as hérité de tes parents, acquiers-le pour le posséder ».

ODeF : En procédant ainsi, vers quelles notions, s’approchant de la « thérapie transgénérationnelle », êtes-vous arrivés ?

M. S. B. : Une première a été celle de transmission familiale transgénérationnelle : il s’agit de « mandats », de « missions », de deuils non faits par sa famille, de loyautés familiales visibles ou invisibles, de loyautés de clan, culturelles, religieuses, nationales… Cette transmission crée une empreinte très précoce qui restera en mémoire, surtout en mémoire corporelle, empreinte qui influencera voire orientera nos choix de vie, et ceci d’autant plus si nous n’avons pas fait de « travail » de mise en lumière, en conscience, de la présence de ces schémas internes qui nous définissent, nous donnent forme, épaisseur, appartenance, identité, mais qui peuvent aussi nous limiter et nous contraindre.

Certaines loyautés invisibles, certaines répétitions de rôle, le choix de partenaire ou la profession deviennent visibles, par exemple, lors de la réalisation du génosociogramme1.

Pour prendre un exemple fictif qui met en évidence la loyauté invisible : je me suis toujours senti proche d’une grand-mère qui a fait certains choix et sacrifices dans sa vie, sans forcément m’en avoir parlé ou sans que je sache pourquoi. Parce que je suis loyale à cette personne, dans un canal inconscient, j’ai intériorisé cela. Je peux répéter des comportements en lien avec cette loyauté. Ces comportements peuvent être dans le moment actuel de ma vie générateurs de bien-être ou de souffrances répétées. En général, on intériorise ces loyautés très précocement, avant la parole. Le génogramme permet aussi parfois d’approcher la notion d’enfant de remplacement : on s’aperçoit qu’on est en train de remplir le rôle de quelqu’un de disparu.

On peut encore parler du syndrome d’anniversaire : à certains moments de l’année, à un certain âge dans la vie de plusieurs personnes de différentes générations, des évènements se répètent, par exemple un accident, une maladie. En faisant le génosociogramme, un peu comme un arbre généalogique incluant la dimension relationnelle, on voit que cela correspond à un moment douloureux qui a eu lieu (dans la famille, dans les générations précédentes) et que cela est resté enregistré à l’intérieur de nous. Souvent, ce sont des loyautés basées sur l’amour : on se rend compte que pour aimer la grand-mère en question, on ne doit pas forcément répéter ses choix et ses sacrifices. Si la personne est vivante, on peut en parler, écrire une lettre, ou on peut créer, en psychodrame, un moment de parole, de partage avec l’image de cet ancêtre qui nous habite en jouant avec un ego-auxiliaire. L’idée, c’est d’identifier ces répétitions afin de pouvoir boucler des boucles relationnelles qui, si laissées en suspend, nous agissent.

ODeF : Justement, quel est le rôle du thérapeute ?
M. S. B. : L’empreinte de ces transmissions familiales transgénérationnelles se dévoile dans nos schémas d’interaction, nos « habitudes relationnelles », ces façons d’être avec l’Autre que nous répétons, pour le bien ou pour le mal, dans notre vie de tous les jours comme, bien sûr, avec nos thérapeutes. L’approche psychothérapeutique transgénérationnelle semble pouvoir être spécialement bénéfique pour « décentrer » la problématique des symptômes plus « bruyants » et des « étiquettes » psychiatriques qui peuvent limiter le champ d’action et la motivation du patient et du thérapeute. La remise « en émotion » de contenus/schémas anciens qui redeviennent « vivants », douloureux mais « mobilisables » psychiquement permet un travail dans le « ici et maintenant », au sein d’une alliance thérapeutique sécurisante. La mise en lumière, en thérapie individuelle ou de groupe, de facteurs identitaires, familiaux, culturels, transcendant l’individu et porteurs de sens peut ainsi être génératrice de changement.

Pour donner un exemple, un schéma relationnel donné, qui peut être totalement « invisible » pour la personne qui le reproduit, peut être « capté » par le conducteur dans une séance de psychodrame où le protagoniste choisi d’autres participants pour faire figurer les membres de la famille tels qu’il les place dans un « paysage relationnel » ou tel qu’ils apparaissent dans un rêve. On va alors pouvoir observer qui est proche, qui est loin, se rendre compte de caractéristiques des liens que la parole ne permet pas toujours de saisir. De plus, le fait d’utiliser le groupe pour les échanges de rôle et de perspective entre le protagoniste et les personnages qu’il met en scène, permet de multiplier les niveaux de conscience qui ne seraient pas possibles dans une relation à deux, du type thérapeute-patient. Enfin, on se rend compte dans l’espace partagé du co-inconscient familial qui devient groupal de répétitions, de proximités ou, en négatif, d’absences, de distances, qui permettent à l’individu de saisir, progressivement ou soudainement, de prendre conscience, et même de voir représenté « en humain », « en direct » le schéma relationnel qui jusqu’alors le « possédait ».

Le rôle du thérapeute est de mettre en lumière ces schémas, répétitions, postures corporelles auxquels il est attentif. Faire attention à ce qui est dit, mais aussi beaucoup à tout ce qui est dans le co-inconscient du groupe2. Mettre en lumière les distances, les échos des uns par rapport aux autres, repérer quand il y a un « nœud », quelque chose de fort qui ressort de l’histoire de la personne, tout en restant flexible pour respecter les « suggestions » de l’inconscient groupal. Chacun des participants peut vous amener une perspective qui fait écho à ce qui est représenté. Dans la thérapie individuelle, vous avez juste votre conscient, votre inconscient et ceux du patient. Là, vous avez davantage d’éléments, de points de vue, de dynamiques possibles pour travailler le thème.

ODeF : En quoi est-ce pertinent de jouer ceci avec des personnes qui ne sont pas de la famille, donc à priori difficiles à rendre telles que les membres de la famille ?

Avec sa propre famille, il est difficile de se voir soi-même à partir d’une position « meta », d’observateur. Les loyautés, les schémas de comportement, de réaction « ancrés », les craintes de blesser, de ne pas trouver les mots ou la bonne distance, constituent autant d’obstacles à la mise en dialogue de « contenus sensibles », émotionnellement chargés, avec sa propre famille.

En psychodrame, la possibilité de mettre en jeu, d’interagir avec les images internes de personnes significatives qui nous « habitent » constitue un puissant levier de changement de notre relation avec nous-mêmes et, par conséquent, avec les autres. Avec le renversement des rôles, le protagoniste peut non seulement s’observer lui-même mais aussi se voir à partir du regard de quelqu’un autre qu’il est en train d’incarner sur scène. Les renversements de rôles successifs permettent de clarifier ce qui est exploré, et d’ajuster les rôles pour qu’ils correspondent à ce que le protagoniste en vit ou en imagine. Son ressenti dans une situation donnée peut être mis en avant par l’utilisation d’un ego-auxiliaire qui se place derrière le protagoniste et fait « le double » verbalisant les émotions ou pensées qu’il lui attribue dans la situation mise en scène, ce qui peut optimiser la prise de conscience.

L’imprévisibilité et la spontanéité des contenus, des perspectives qui vont émerger du co-insconscient groupal2 apportent une dimension d’ouverture qui, contenue et canalisée par le thérapeute, va guider le protagoniste dans un vécu émotionnel potentiellement douloureux mais souvent « vivifiant » qui a, par exemple, toujours été évité, échappé ou recouvert dans sa vie « hors scène ». Un autre exemple d’utilité du dispositif psychodramatique est l’adoption par un ego-auxiliaire, de façon spontanée, d’un rôle plutôt positif/bienveillant d’un des personnages mis en scène que le protagoniste s’est habitué à considérer systématiquement sur un jour négatif voir persécutoire (ou vice-versa, selon la situation). Le protagoniste s’aperçoit ainsi, intellectuellement et émotionnellement, d’une perspective qu’il n’avait jamais pu adopter lui-même par rapport à cette personne de son monde interne/externe et que la subjectivité de l’ego-auxiliaire a pu mettre en avant.

ODeF : Sur le terrain, cette approche peut-elle se révéler « efficace » ?

M. S. B. : L’approche psychodramatique, plutôt que de passer uniquement par la parole, s’ancre dans le vécu émotionnel, dans le corps, dans l’action. Ainsi, elle peut prendre son sens dans certains cas graves où la verbalisation du « noyau » de la souffrance n’est pas encore possible, où la détresse émotionnelle est agie plutôt que ressentie, pensée ou verbalisée. Quelquefois, c’est trop grave, l’accès à la symbolisation trop déficitaire, les symptômes trop déstabilisants. Mais parfois, par exemple dans un cadre hospitalier, une séance de mise en action psychodramatique autour d’un patient peut permettre à l’équipe de redonner un souffle à ce qu’elle entreprend et au patient de reprendre une autre perspective sur sa situation actuelle. L’utilisation de ce dispositif peut permettre de ressentir ensemble, de penser ensemble, et de retrouver un projet de soins là où un blocage, un épuisement, une opposition nous paralysaient.

Lorsque l’on fait de la thérapie transgénérationnelle de cette manière, on doit garder à l’esprit qu’il s’agit souvent de trouver des ressources positives ; dans une famille, on met généralement en avant des traits négatifs, des traumas, des abus, on est biaisés, surtout en milieu hospitalier où nous soignons les cas les plus graves et les plus complexes. Il est donc important, quand nous travaillons le génogramme en individuel ou en famille, ou lors des séances de psychodrame, d’aider à identifier les personnes et les souvenirs-ressources, les identifications positives, des points d’appui dans l’histoire personnelle qui dynamisent le projet de repartir « dans la vraie vie ».

Lorsqu’on a demandé à Anne Ancelin Schützenberger qui avait inventé le psychodrame, elle a répondu qu’il s’agissait de saint Augustin, lorsque celui-ci a écrit : « Les morts ne sont pas absents, ils sont invisibles. » Elle pense qu’il faut rester simple : le passé étant imprimé dans le corps, si le protagoniste est en confiance et qu’il peut penser certains contenus émotionnellement chargés, si on l’aide à venir et à pouvoir penser ce passé au présent, par la mise en action, on peut alors permettre l’émergence de l’inattendu, voire de l’inespéré, y compris des mots qui ont trop longtemps fait défaut.

Interview de Micaela Santos Brosch réalisée par Vincent Chazaud.

 

Notes

1Un arbre généalogique sur plusieurs générations avec les liens majeurs (sociométriques, affectifs) et les événements de vie principaux (Ancelin Schützenberger, 1993, 2000). Certains liens affectifs, par exemple, peuvent être mis en évidence avec des couleurs, un tracé de crayon différent, etc.
2L’homme est un être en interaction qui baigne dans un co-conscient et un co-inconscient familial et groupal, concepts qui ont notamment été décrits par Moreno (1965).

Date de publication : 21 septembre 2015

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