Les stades de développement du groupe.
Par Norbert APTER.
Présenter l’essentiel de cette compétence en très peu de temps: un défi relevé et décrit ici. En effet, un lunch atelier, à l’ODeF, comprend une demi-heure de lunch-sandwich, une heure d’atelier, et une demi-heure de réseautage.
Le jour J, j’étais prêt, décidé à joindre la pratique à la théorie et donc à utiliser le principe sine qua non de la maîtrise du groupe : le faciliter, plutôt que de le devancer. Et ce, bien entendu par les Méthodes d’Action.
Echauffement
Les membres de ce groupe hétérogène (venant des domaines médico-psycho-socio-éducatif, de la formation, du coaching et de l’entreprise) ne se connaissaient pas. Plutôt que de n’utiliser qu’un simple tour de table pour produire la « rencontre », nous nous mîmes en action: un « jeu » de prénom, des lignes au sol pour déterminer nos lieux d’activités et nos cadres professionnels, etc. Puis, en guise d’échauffement au thème, je présentai brièvement les 5 piliers de la maîtrise des dynamiques de groupe et d’équipe:
- Faciliter, avec souplesse et fermeté, les processus relationnels, fonctionnels et opérationnels, et ainsi, permettre que tant les dynamiques relationnelles que les rôles et fonctions ou les diverses procédures et tâches soient entendues et concourent de manière dynamique à l’efficacité générale.
- Accompagner le rythme du groupe ou de l’équipe : ne pas le freiner, ni le tirer ou le pousser, mais le stimuler en reconnaissant les diverses envies et besoins présents, les hésitations et les enthousiasmes, tout en clarifiant le cadre (institutionnel ou de l’entreprise) et en cherchant à concilier ces diverses dimensions.
- Utiliser l’intelligence collective : ne pas se contenter d’identifier tout seul les forces et faiblesses, les opportunités et les menaces, mais plutôt miser sur le dialogue co-constructif avec le groupe/l’équipe pour faire émerger tant l’évaluation des situations que les apprentissages, les ancrages, voire les remédiations nécessaires.
- Prendre en compte les stades du groupe dans nos manières d’être et nos manières de faire, c’est-à-dire être attentif aux besoins individuels et collectifs du moment spécifique, et y répondre avec la conscience de ce qui est possible ou non, selon le stade auquel le groupe/l’équipe semble se situer.
- Prendre soin de l’entité groupe/équipe, ce qui implique effectuer régulièrement
ce que l’on pourrait appeler un nettoyage des tensions, afin d’éviter qu’elles ne prennent de l’ampleur. Cela peut être fait par un TeamCaring (une consolidation par la maintenance relationnelle, fonctionnelle et opérationnelle de l’équipe). Si le taux de tensions/conflits existant est relativement élevé, il s’agit plutôt d’effectuer un Teambuilding (un TeamCaring d’équipe tendue, une consolidation d’équipe instable), voire une Gestion de conflits/Médiation. Il est à noter que le TeamCaring et le Teambuilding contiennent une dimension importante de gestion de conflits, mais pour un taux de tensions moins élevé qu’au moment où la méthodologie de Gestion de conflits/Médiation doit être particulièrement bien maîtrisée.
Il allait de soi que nous n’allions pas approfondir chacun des 5 piliers, vu le peu de temps restant à notre disposition : 45 minutes. Il paraissait plus intéressant et plus efficace d’en prendre un et de s’y plonger. Je proposai: les stades du groupe ou de l’équipe. Les participants à l’atelier approuvèrent.
Action: les stades d’un groupe/d’une équipe
En guise d’échauffement à l’action elle-même et en quelques phrases, j’informai les participants des divers stades classiques et de leurs caractéristiques de base. Je m’assurai d’en dire le strict minimum pour pouvoir par la suite mettre à contribution, par l’action, l’intelligence collective des participants. Je leur présentai donc les stades suivants ainsi, en précisant bien que ces stades sont non linéaires, et peuvent varier parfois d’un jour à l’autre et d’un sous-groupe à l’autre au sein d’une même équipe:
- nominal: ce moment où, dans un groupe, dans une équipe, chacun se sent un individu sans réelle appartenance; ses propres besoins priment; la personne suit ou non le chef et le groupe, et surtout attend « que le groupe se forme ». Je donnai comme exemple le groupe que nous formions ou le groupe de touristes aux premiers moments d’un voyage organisé, où chacun cherche ses points de repères, sans trop s’impliquer.
- fusion-structuration : chacun et tous se débattent entre d’une part l’envie du « tous pour un, un pour tous », cette sensation d’être UN groupe, avec son lot d’uniformisation, et, d’autre part, le besoin d’une structure permettant que chacun garde son identité, et que soit prise en compte la spécificité de ses envies, et de ses idées, etc., ainsi que de ses contingences propres ; en d’autres termes deux orientations différentes, vécues divergentes (parfois d’ailleurs considérées comme deux stades distincts).
- interdépendance : ces moments d’inter-influence où chacun entend et reconnaît l’autre dans ses besoins, ses pouvoirs, ses limites et leur légitimité, et où les membres du groupe/de l’équipe sont disposés à rechercher des options acceptables et efficaces pour chacun et pour tous.
- sénilité : ces moments où le ronronnement démotivant des habitudes figées du groupe/de l’équipe produit une perte de sens, une disparition progressive de « raison d’être », et nécessiterait soit que s’enclenche un renouveau, soit que le groupe/l’équipe se termine.
Ces quelques phrases d’introduction au thème pouvaient laisser place à la mise en situation.
Ainsi, formant des sous-groupes par un exercice sociométrique, je proposai que chaque groupe choisisse au hasard parmi les lettres suivantes: N, FS, I, S. Amusés, ils le firent, découvrant par la suite que leur choix de lettres servait de base arbitraire pour l’approfondissement d’un des stades (N pour Nominal, FS pour Fusion-Structuration, etc.). Chaque sous-groupe eut la consigne de prendre 10 minutes pour élaborer une sculpture humaine représentant les caractéristiques de la dynamique d’un groupe/d’une équipe au stade déterminé. Au cours de ces 10 minutes chaque sous-groupe se réunit et construisit par les mots une sculpture qu’ils allaient nous montrer. Les discussions étaient animées, chaleureuses; une certaine excitation régnait: la phase d’échauffement montrait son efficacité et l’intelligence collective se mettait réellement en route.
Les 10 minutes s’étant écoulées, ils étaient « prêts » à présenter leur sculpture du stade choisi. Tour à tour, chaque sous-groupe (1) montra sa sculpture humaine (2) entendit ce que l’audience voyait, percevait, imaginait de ce qui était représenté (3) compléta si cela s’avérait nécessaire.
Les espoirs que j’avais en choisissant la sculpture humaine comme technique d’action centrale se réalisèrent:
- chaque sous-groupe avait saisi sensoriellement l’essentiel du stade à représenter,
- la créativité des sculpteurs/sculptés produisit des effets visuels très parlants,
- les spectateurs/observateurs étaient ainsi sollicités dans la diversité de leurs intelligences,
- les observations et les commentaires sur ce qui était représenté se multiplièrent de manière fort constructive et efficace. Je n’eus que très peu à ajouter/modifier,
- chacun put apprivoiser l’ampleur de ce que recouvre chaque stade d’un groupe.
En effet, chaque élément de la sculpture humaine fut pris en compte:
- la position des personnages
- leur distance ou leur proximité
- leur « mouvement » ou leur « statisme »
- les gestes utilisés
- la direction vers laquelle ils étaient orientés (tous ou non)
- l’expression de leurs visages…
même les regards entre eux ou au loin donnèrent lieu à des réflexions !
La pluralité des observations qui en apparurent fit ressortir de nombreux « détails », de nombreux indicateurs de chaque stade de groupe.
Notamment, et pour n’en citer que quelques-uns:
- la distance existant entre les membres du groupe nominal, leur recherche de contact, ce regroupement mitigé d’individualités qui caractérise ce stade, la non-clarté de son orientation groupale, un certain attentisme, etc.
- la recherche d’équilibre, le conflit, entre les « Moi » et le « Nous » du stade fusion-structuration, sa dynamique de convergences-divergences, cette recherche de sortir de l’uniformité tout en ayant peur de la dispersion/dislocation de l’entité groupe, etc.
- l’aspect énergique de l’interdépendance, le respect mutuel qui s’en dégage, l’équilibre des positionnements, la sensation qu’à ce stade chacun existe dans son espace, que le groupe a son orientation, que chacun est relié respectueusement aux autres, etc.
- l’immobilité – pour ne pas dire l’immobilisme – du groupe sénile, sa rigidification, le manque d’intérêt et la démotivation qui s’en dégage, son « absence de futur » ; en d’autres termes, l’aspect quasi moribond de cette phase du groupe/de l’équipe, etc.
En quelques minutes, l’intelligence collective mise à contribution avait permis à chacun de tirer aisément divers fruits de l’expérience active effectuée.
Mise en commun
Les quelques minutes qui nous restaient avant la clôture furent mise à profit pour partager par paires les résonances que cette expérience des stades de groupe/d’équipe avaient dans la pratique des participants : quelle(s) situation(s), quelle(s) dynamique(s) professionnelle(s) cela leur rappelait-il ?
Clôture
Quelques minutes plus tard, je proposai un tour de table pour que chacun puisse exprimer là où il/elle en était à la fin de cet atelier : quasi unanimement ils dirent, chacun-e à sa manière, avoir « beaucoup appris » d’une manière « intense et légère à la fois ».
L’atelier se termina à l’heure, à 5 minutes près.
Certains restèrent la dernière demi-heure pour se rencontrer plus amplement et réseauter. Puis nous nous séparâmes.
J’étais content : j’avais facilité, grâce à la méthode de Moreno et en peu de temps, un contexte d’apprentissage généré par les apprenants qui avait été sécure, efficace et productif.