par Norbert APTER, formateur et psychothérapeute à Genève.
A compétences égales,
la façon d’être dans une relation
fait la différence
Un professionnel a besoin de compétences intellectuelles et techniques. Cela ne fait aucun doute. Nombreux sont ceux qui oublient cependant qu’il faut également d’autres compétences pour qu’un professionnel puisse pleinement fonctionner de façon efficace. Quel que soit son domaine professionnel du reste. Ce sont justement ces compétences-là qui font la différence. Ce sont elles qui déterminent la façon d’être dans une relation et qui influencent la construction d’un dialogue stimulant:
- l’intelligence émotionnelle
- la capacité de promouvoir un bon climat relationnel au travail
- le développement de différents talents relationnels spécifiques à une situation professionnelle donnée.
Dans cet article je vais traiter la notion d’intelligence émotionnelle. « L’intelligence émotionnelle » est un terme qui recouvre toutes les compétences que nous pouvons développer à partir de notre monde émotionnel. L’intelligence émotionnelle nous aide à établir une relation constructive avec notre propre vie et avec celle des autres. Le terme a été forgé par Daniel Goleman.
POURQUOI DEVELOPPER SON INTELLIGENCE ÉMOTIONNELLE ?
Depuis les années 50, les psychologues se sont rendu compte que si un professionnel n’était pas à l’aise avec ses émotions et ne savait pas comment les gérer de façon constructive, il/elle s’exposait à des difficultés relationnelles avec soi-même et avec autrui. Dans un tel cas, les malentendus, les frustrations et les blessures internes, etc. risquent de s’accumuler. Souvent les personnes ayant des difficultés émotionnelles vont soit se soumettre, soit se rebeller par rapport aux autres, minimiser ou nier leur propre personne ou celle d’autrui, ou elles risquent d’accepter ou de co-forger involontairement une relation douloureuse dans laquelle leur cadre habituel de références professionnel semble avoir disparu.
L’insécurité s’installera progressivement; elle pourra mener à son tour à un sentiment d’absence de sens, à des blessures de l’estime de soi, à un sentiment de co-dépendance, voir même à des sentiments relevant de l’abus.
S. a peur de dire non à son patron. Il a absolument besoin de lui plaire. Par conséquent il dira oui, même s’il a envie de dire non. M. S. est très qualifié, son patron ne s’inquiète donc pas et continue d’ajouter, de lui confier de nouvelles responsabilités. La charge de travail s’est considérablement accrue avec le temps, et/ ou – qui sait ? – M. S. a de moins en moins d’énergie: il accumule les frustrations et les malaises; un sentiment d’insécurité s’installe et les tensions avec son chef sont de plus en plus fréquentes. Un jour M. S. a cessé d’être efficace. Il est épuisé.
Cela en valait-il la peine ? Pour qui ?
Lorsqu’un professionnel ne sait pas comment utiliser ses émotions, il/elle a tendance à alterner constamment entre l’expression et le camouflage de ses émotions. Or, cacher ses émotions (à soi même ou à autrui), les réprimer ou les enfermer est une stratégie qui comporte des risques: le risque d’imploser (migraine, mal d’estomac, anxiété, eczéma, burn out, dépression, etc.) ou celui d’exploser comme une cocotte-minute (irritation, explosion verbale, agressivité, violence, etc.). Exprimer ses émotions en permanence ne vaut guère mieux. Cela ne résout rien. C’est frustrant et cela ne veut rien dire. Le sentiment d’impuissance risque de s’installer, et à son tour il peut engendrer des implosions ou des explosions.
Qu’elles soient mineures ou majeures, les implosions ou explosions sont douloureuses et risquées, lorsqu’elle ne sont pas carrément dangereuses. Elles diminuent (et parfois même anéantissent) l’efficacité d’un professionnel et de son équipe…qui manifestement ne peut pas travailler à sa pleine capacité.
Mme M. est cheffe de département. Elle est très orientée sur la tâche à accomplir. L’année dernière son département a été récompensé pour ses excellents résultats. Cependant, Mme M. a peur du conflit. Pendant les réunions d’équipe elle n’ose jamais demander comment les gens se sentent et comment ils perçoivent les autres membres de l’équipe, ou comment ils ressentent les relations à l’intérieur du groupe. Mme M. essaie d’éviter les questions relationnelles ou de les gérer et les résoudre au plus vite. Mais en réalité, comme ces conflits n’ont pas été réglés au moment voulu, les tensions se sont accumulées au sein de l’équipe, certaines ont dégénéré et sont devenues graves, le climat de travail s’est dégradé à tel point que tout le monde en souffre. Les performances de chacun en sont manifestement affectées, car l’énergie de toute l’équipe est sollicitée par les conflits.
Alors que faire si l’on ne sait pas utiliser ses émotions ? Développer son intelligence émotionnelle !
QUE VEUT DIRE « DEVELOPPER SON INTELLIGENCE ÉMOTIONNELLE » ?
Avant tout il faut accepter la réalité de ses émotions. Elles existent. Certains psychologues estiment qu’il y a cinq émotions de base: l’amour, la joie, la colère, la tristesse et la peur. D’autres y ajoutent la surprise et/ou le dégoût. Cependant tous les psychologues sont d’accord pour dire qu’il existe de multiples dérivés ou combinaisons de ces émotions (la frustration, l’enthousiasme, la haine, le plaisir, le désespoir, le soulagement, l’anxiété, etc.) Elles constituent un véritable « mouvement intérieur ».
Que je veuille admettre mes émotions ou non ne change rien au fait qu’elles existent. Elles sont toujours présentes, comme le sont le corps ou l’âme, le cerveau, les battements de notre cœur, le souffle, etc. Que j’en sois consciente ou non, que je les ressente ou non, que je les écoute ou non, que je les utilise de façon constructive ou non, mes émotions sont présentes. Le mouvement émotionnel intérieur continue sans cesse. Prendre conscience de mes émotions et les identifier peut déboucher petit à petit sur l’acceptation de mes émotions. Car on peut fort bien ne plus vouloir investir autant d’énergie dans l’effort de les réprimer, de les dissimuler, de les combattre, de les éviter, de simplement les minimiser ou de les exagérer. Il est peut être important de les identifier et de les accepter. En ayant peur de mes émotions, j’ai peur d’une partie de moi même. En les accusant, j’accuse une partie de moi-même. En les combattant, je me livre un combat à vie. Puisque je vis avec mes émotions 86400 secondes par jour, ne pourrais-je pas développer une véritable amitié à leur égard ? Avec cette partie qui est en moi: MES émotions; car elles font partie de moi, elles sont miennes. Elles ont leur façon de se déclencher, je devrais dire MA façon de se déclencher. Je ferai bien de me les approprier. Je dois devenir responsable de ce qui m’appartient: MES émotions. Elles sont légitimes et elles sont miennes.
Pendant les groupes de travail je choisis souvent l’exemple suivant:
Lorsqu’un petit garçon de trois ans joue au football à la cuisine, il ne met pas sa mère en colère. C’est elle qui se met en colère.
Sa colère lui appartient. Une autre personne aurait peut être un sourire attendri, ou rigolerait si elle trouvait cela amusant, ou elle aurait peur … Non, ce n’est pas l’enfant qui met sa mère en colère, l’enfant joue au football. C’est elle qui est responsable de sa colère.
Ce n’est pas non plus l’araignée qui peut vous faire peur: elle ne fait que passer, c’est vous qui avez peur ! La peur vous appartient. De même que ce n’est pas votre collègue qui vous fâche. Il dit ou fait ce qu’il dit ou ce qu’il fait, et vous vous fâchez. Votre colère vous appartient et vous en êtes responsable.
Quel que soit le domaine professionnel où l’on se trouve, s’approprier ses émotions peut diminuer les tensions inutiles. Cela engendre des changements importants. On ne souffre plus d’être la victime de ses émotions (les gens disent: « J’étais tellement fâché que j’ai fait, ou j’ai dit telle ou telle chose … mais je t’assure que ce n’est pas ce que je voulais dire ou faire … ») Notre perception de l’autre change. On n’est plus leur victime: ce n’est plus de leur faute si nous ressentons certaines choses lorsque les autres disent ou font quelque chose. Non seulement ces émotions-là sont les miennes, mais l’autre possède également les siennes. Les émotions existent toujours dans une relation. En les acceptant, en faisant preuve d’empathie avec les émotions en général, un professionnel sera peut être motivé d’apprendre quelque chose de ses émotions et de celles des autres. D’autant plus que les émotions nous donnent des indications quant à la perception de la réalité. Si un professionnel se met en colère, cela peut vouloir dire qu’il/elle sent qu’une certaine limite est atteinte ou même transgressée; si il/elle a peur, c’est peut être le signal qu’il/elle perçoit un risque ou un danger… Quels que soient les autres compétences acquises (p.ex. dans la résolution des problèmes), tout le monde devra tenir compte de ces indicateurs émotionnels. Dans une certaine mesure, tout le monde le fait. Par exemple: nous avons tous peur de traverser la route. Heureusement ! Car si nous n’avions pas cette peur qui nous protège, nous serions probablement déjà morts ! Mais le problème c’est de s’assurer que nous ne restions pas scotchés sur le trottoir, ou paralysés, sans pour autant balayer la peur d’un revers de la main et de nous lancer sur la chaussée sans regarder ni à gauche ni à droite. Qu’avons nous fait de notre peur de traverser ? En général nous l’avons plus ou moins maîtrisée.
Maîtriser ses émotions c’est une compétence émotionnelle très importante qu’il faut développer. C’est un énorme atout dans un grand nombre de situations, surtout dans une interaction difficile (où la situation de « maîtrise » ou de « non-maîtrise » est très importante). La maîtrise de nos émotions contribue à notre capacité de maîtriser notre façon de nous exprimer.
Développer son intelligence émotionnelle veut dire acquérir toutes les compétences émotionnelles ci-dessus – et bien d’autres encore. Cela facilite notre faculté d’être détendus et de nous affirmer, d’être ouvert, de faire preuve d’empathie et de respect, d’être entourant.
Heureusement on peut y arriver.
Conclusion
Depuis de nombreuses années nous savons qu’un/e professionnel/le doit considérer les deux dimensions fondamentales de sa profession: les tâches et les relations. En créant une synergie entre les compétences intellectuelles, techniques et émotionnelles, le/la professionnelle va devenir responsable et pourra maîtriser ces deux dimensions.
Dans un contexte interculturel, un professionnel peut ainsi développer la capacité de travailler face à des différences; les différences peuvent parfois surprendre[1], intriguer[2] ou frustrer[3]. En développant la facilité à vivre avec ses émotions, l’autre devient Autre, avec ses propres synergies. En possédant des compétences émotionnelles, les professionnels vont percevoir, accepter et considérer les émotions de l’Autre avec plus de facilité. Ils seront mieux à l’aise et établiront des moyens et des façons pour dialoguer de façon constructive, c’est ce qui est tellement important lorsque l’on doit gérer des interactions difficiles (y compris la résolution d’un problème, les conflits entre plusieurs cadres de référence, la résolution de conflits, l’insécurité, voire même l’agressivité).
Créer des synergies entre nos compétences intellectuelles, techniques et émotionnelles pourra fort bien nous aider à augmenter à la fois
- notre capacité de promouvoir le climat relationnel au travail
- le développement de diverses capacités relationnelles spécifiques d’une situation professionnelle donnée
Cela donne à un professionnel la possibilité de se sentir de plus en plus à l’aise, compétent et efficace en stimulant des actions et dialogues constructifs.
Lectures conseillées:
Goleman, D. (1995). Emotional Intelligence. New York, Bantham Books
Goleman, D. (1997). L’Intelligence émotionnelle. Comment transformer ses émotions en intelligence. Paris (France) : Robert Laffont.
[1] p.ex. « l’autre vit différemment sa vie »
[2] p.ex. « l’autre s’exprime différemment »
[3] p.ex. « l’autre n’est pas toujours compréhensible, ou n’est pas comme j’aimerais qu’il soit… »
Notes:
Article paru dans U.N. Special, 610, septembre 2002, 22-25, sous le titre: Emotional Intelligence: one of the fundamental competencies for a professional.
Pour citer cet article :
Norbert, A., (2002). L’Intelligence émotionnelle: une compétence fondamentale des professionnels. Journal Relation et Action. [Consulté le …]. Disponible à l’adresse: https://journal.odef.ch/lintelligence-emotionnelle-une-competence-fondamentale-des-professionnels/