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La technique du “Magic Shop” dans le psychodrame

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Par Leni VERHOFSTADT-DENEVE.

 

Introduction

Bien que la technique psychodramatique du Magic Shop et quelques unes de ses variations aient déjà fait l’objet de discussions par de nombreux auteurs (voir Barbout, 1992 ; Leveton, 1992 ; Moreno, 1964 ; Petzold, 1971 ; Rustin et Olsson, 1993), le présent article note quelques ajustements dans l’organisation de la technique – une série de scènes ordonnées – ainsi que la justification de la structuration de la méthode de cette manière.

L’idée initiale est qu’un « Magic Shop » est ouvert (par le directeur de jeu ou par un membre du groupe, dans ce dernier cas sous la supervision du directeur) et que les membres du groupe peuvent y « acheter » des qualités psychologiques ou des caractéristiques dont ils ont l’impression de manquer. La négociation du type de paiement pour l’achat est particulièrement significative, puisque ce qui est offert en paiement peut être une source d’inspiration pour le protagoniste.

Bien que la réalisation effective du Magic Shop puisse considérablement différer d’un auteur à l’autre, elle procède d’une base commune, notamment d’une remarquable combinaison d’enjouement et de sérieux, d’humour et de douleur, de rêve et de réalité, qui constituent le pouvoir de guérison distinctif de cette technique psychodramatique. Ma propre approche est aussi liée à ces traits. Pourtant, je pense qu’il vaut la peine de signaler qu’une dimension additionnelle entre dans le jeu, à savoir des moments d’apprentissage vivement expérimentés qui sont atteints par un nombre structuré d’étapes, le processus étant basé sur la théorie existentielle-dialectique du développement (théorie : voir Verhofstadt-Denève, 2016). L’accent n’est pas mis sur l’élément de négociation ni sur l’échange d’une qualité pour une autre, mais plutôt sur un apprentissage orienté vers le développement à travers des épisodes d’expériences concrètes et intenses. Le processus se poursuit par plusieurs étapes successives dans lesquelles le directeur de jeu, agissant comme le « propriétaire du magasin », stimule à l’action le protagoniste et le groupe entier. Le présent article illustre cette approche au moyen d’un exemple pratique de séance avec des étudiants en psychologie clinique. Il sera montré que le « Magic Shop » psychodramatique peut stimuler l’auto-actualisation par les mouvements psychiques de base suivants :

  1. L’activation de l’auto-réflexion des six dimensions de la perception du Soi ;
  2. Une conscience croissante et l’intégration des oppositions inter- et intra-dimensionnelles, et la découverte d’interprétations alternatives de soi-même et de son environnement ;
  3. La reconnaissance et l’acceptation des conditions existentielles ;
  4. Un renforcement de la confiance en soi à travers l’auto-appréciation et l’évaluation positive par d’autres signifiants.

Après la présentation des étapes successives du Magic Shop, nous reviendrons sur ces points.

Le Magic Shop : une séance illustrative

Cette séance faisait partie d’un cours d’apprentissage par l’expérience sur la « psychothérapie développementale », dans le cursus des étudiants en psychologie clinique à l’Université de Gand, en Belgique (Verhofstadt-Denève, 1999).

La taille du groupe est en moyenne de 15 étudiants. Il y a 7 séances de 16h à 20h les vendredis, en principe sur 7 semaines consécutives. Le but n’est pas de devenir des psychodramatistes mais d’acquérir une expérience personnelle de ce qu’est réellement le psychodrame.

La partie suivante décrit une séance de Magic Shop avec ce groupe ; c’est le cinquième atelier de la série. La cohésion au sein du groupe est forte et l’atmosphère est sécure, pas compétitive, et détendue. Les étudiants savent qu’ils ne seront pas évalués sur la base de leur comportement pendant les séances : « les membres du groupe ne peuvent pas commettre d’erreurs ». La technique du Magic Shop ajustée comprend les étapes suivantes :

1.Mise en train / échauffement
a. Description de la boutique
b. Réflexion en silence
2. Action
c. Le client entre dans la boutique à la recherche de la qualité appropriée
d. Exploration d’une ou de plusieurs situations lors desquelles cette qualité manquait
e. Première vignette sans la qualité
f. Retour à la boutique : essayage de la qualité
g. Deuxième vignette avec la qualité
h. Retour à la boutique : négociation
i. Echange de qualités
j. Sortie de la boutique et retour dans le groupe
3. Partage

(a) Le directeur de jeu (D) ouvre la séance : La semaine dernière, j’ai annoncé qu’aujourd’hui vous pourriez visiter le Magic Shop. J’en suis le propriétaire (voir fig. 1). C’est le magasin (M) où je reçois mes clients, ici c’est le comptoir (C). Et ici vous pouvez voir toute la marchandise attractive que j’ai à offrir (Y) et par là, imaginez-vous, il y a une porte (P). Lorsqu’un client entre dans le magasin ou en sort, vous entendrez le « ding-dong » de la sonnerie – ne l’oubliez pas !

Le « propriétaire du magasin » a une petite anecdote sur tout ce qu’il pointe avec envie.

D. : Il y a quelque chose de vraiment spécial à propos de mon magasin. Vous ne pouvez pas acheter tout ce qui est tangible ici, mais je vends toute qualité à laquelle vous pouvez penser. Si vous pensez que vous manquez d’une qualité donnée dont vous avez besoin pour être plus heureux, vous pouvez me l’acheter – par exemple l’ « audace », l’ « empathie », ou quoi que ce soit d’autre. Parfois, ce ne sera pas facile de trouver le bon mot pour désigner ce dont vous semblez avoir besoin, mais les autres clients peuvent être capables de vous aider, puisque nous sommes tous les membres d’un petit club très soudé : « Les Amis du Magic Shop ». Une manière très efficace d’aider un client est de le « doubler ». Cela signifie que vous pouvez entrer dans le magasin (vous marchez simplement jusqu’au mur), vous vous tenez derrière le client en mettant une main sur son épaule et vous suggérez quelque chose en « je ». Tout membre du club a l’autorisation de le faire, mais vous avez besoin du consentement du propriétaire du magasin (en regardant simplement dans sa direction). Le client décidera ensuite s’il/elle accepte votre doublage. Mais gardez en tête que le client n’acquiert pas la qualité contre rien, il doit payer pour cela. Ça ne peut pas être fait avec de l’argent, ça peut seulement être échangé avec une qualité positive. Je n’accepte aucune qualité négative (la paresse, par exemple), parce que je ne peux les revendre à personne. Mais ne vous inquiétez pas, des qualités positives peuvent aussi gêner votre développement si vous en avez trop : par exemple, une implication trop excessive dans les besoins des autres. De plus, les qualités prétendument négatives peuvent être comprises comme positives, si bien qu’elles peuvent aussi être utilisées comme moyens de paiement : par exemple, une émotivité excessive peut être vue comme une forme de sensibilité, etc.

Après cette introduction, il y a un rire général et l’ambiance est détendue et animée.

(b) D : Maintenant, vous pouvez commencer à penser à ce que vous voudriez acheter dans mon magasin ; prenez votre temps et souvenez-vous : tout est possible ! Si vous le voulez, vous pouvez fermer les yeux, même si vous n’en avez pas besoin.

Après quelque cinq minutes, le directeur de jeu marche vers la porte et tourne une pancarte « OUVERT » imaginaire.

D : Le magasin est à présent ouvert. J’espère que j’aurai de nombreux clients aujourd’hui ; Je vois quelques membres de notre club qui ont l’air d’avoir envie de venir… Pendant que j’expose ma marchandise, je peux offrir quelque affaire intéressante à des prix très modestes…

 

(c) « Ding dong ». Hélène (H) entre dans le magasin.

D : Bonjour Hélène, ravi de vous voir ici. Que puis-je pour vous ?

D et H marchent ensemble dans le magasin ou s’asseyent au comptoir.

H : Je voudrais acheter « oser exprimer mon opinion » (=construction phénoménologique subjective ; pour des références théoriques, voir Verhofstadt-Denève, 2016).

D : Oui, c’est une qualité très importante, mais êtes-vous absolument certaine que c’est ce dont vous avez besoin ? Imaginez que vous pourriez acheter quelque chose pour découvrir plus tard que ce n’est pas la qualité que vous vouliez. C’est ce que nous pouvons prévenir dans ce magasin, grâce à notre club de clients.

H : Exactement ! Quand j’achète des chaussures, j’ai tendance à faire le mauvais choix, mais comment puis-je éviter cela ?

 

(d) D : Alors nous allons essayer de prévenir de telles erreurs… Hélène, y a-t-il des occasions spécifiques lors desquelles vous avez trouvé que vous aviez manqué d’une qualité particulière ?

H : Oh oui, assez souvent… La fois la plus frappante s’est passée récemment, lorsque j’ai parlé avec ma mère au sujet de mon petit ami. Elle le trouve inadéquat, mais mon ami et moi avons tout juste décidé de vivre ensemble et je n’ose pas le lui dire.

 

(e) D : Ok Hélène, maintenant vous allez rencontrer votre mère. Où souhaitez-vous la voir, et à quelle heure ? Etes-vous seule avec elle ?

H : Il n’y a que nous deux, dans ma chambre. Il est 8 heures du soir.

D : Maintenant, choisissez quelqu’un qui sera votre mère.

H : Anne.

Anne les rejoint. Hélène lui montre comment et où sa mère s’assied sur le canapé.

D : Hélène, venez et tenez-vous derrière votre mère et posez votre main sur son épaule ; vous allez devenir votre mère (prise de rôle). Que dites-vous ? A quoi pensez-vous ?…

D (à Anne) : Anne, écoutez attentivement ce que dit Hélène ; essayez de devenir la mère d’Hélène.

H (en tant que sa propre mère) : Je suis la mère d’Hélène. Lorsque j’étais jeune, je n’étais pas chanceuse avec les garçons… (= Image de l’Autre). J’espère qu’Hélène n’est plus avec Kevin, elle mérite mieux (= Méta-Soi). Je vais lui demander si elle voit encore Kevin.

D : Maintenant, devenez vous-même à nouveau, Hélène. Où vous asseyez-vous maintenant ?

H : En face d’elle, dans un fauteuil. Hélène se déplace dans un fauteuil faisant face à sa mère.

Anne (en tant que mère d’Hélène) : Vois-tu encore Kevin ?

H : Occasionnellement… (= Image externe de Soi-même)

H (s’adressant à D) : Je ne peux pas lui dire ce que j’ai l’intention de faire, je ne veux pas la heurter, je me sens coupable envers elle ; après tout, en elle cela part d’une bonne intention (= Image externe de Soi / Image interne de l’Autre, et auto-évaluation négative).

D : Comment est-ce que cette scène se finit ?

H : Ma mère part… je me sens malheureuse… je n’ai pas été honnête avec elle… j’avais peur de lui dire la vérité.

D : Venez, Hélène, nous revenons au magasin.

 

(f) D : Maintenant, que s’est-il passé durant cette rencontre ?

H : J’ai ressenti de la douleur et de la culpabilité. Je ne sais pas pourquoi je n’ai pas osé être ouverte sur ce sujet.

D : Qu’aimeriez-vous acheter ? Peut-être un membre du club peut-il vous aider ? (Plusieurs membres viennent doubler Hélène).

John (doublant) : Peut-être que j’ai besoin d’être plus confiante dans les choix que je fais, afin que je puisse oser être honnête sur mes idées.

D : Est-ce juste ?

Hélène : Oui c’est cela, c’est ce que je veux acheter, « plus de confiance en soi » (= Interprétation alternative).

D : Ok, Hélène. Afin d’être sûr que c’est la bonne qualité, vous pouvez l’essayer, comme vous essayeriez des chaussures ou une robe. Nous allons alors rejouer la scène que nous venons de jouer, mais avec « plus de confiance en soi » cette fois, et ensuite, vous décidez si vous revenez au magasin. Allons au magasin secret derrière le comptoir (voir fig. 1, Y)… Oui, j’ai quelque chose… regardez… Mettez ça… prenez votre temps… Sentez votre confiance en vous grandir… regardez-vous dans ce miroir (imaginaire)… Vous voyez ? Votre allure a déjà changé, maintenant vous vous tenez droite… Dès que vous vous sentirez assez confiante, vous pourrez commencer la scène, mais il n’y a pas d’urgence…

 

(g) Hélène (après un moment) : Je suis prête !

Anne prend à nouveau le rôle de la mère d’Hélène et lui demande : Vois-tu encore Kevin ?

D : Hélène, n’oubliez pas que vous avez plus de confiance en vous, maintenant !

H : Maman, je sais que tu n’aimes pas vraiment Kevin, mais moi je sens que nous nous entendons très bien. Nous en avons parlé prudemment avec lui et avons décidé, Kevin et moi, de vivre ensemble. Je me sens très heureuse de cette décision. Je sais que ça pourrait te heurter, mais j’aimerais que tu restes avec nous (= Image idéale de Soi-même, Image idéale de l’autre).

D : Comment vous sentez-vous à présent ?

H : Incroyable ! C’est la façon dont je dois gérer mes affaires à l’avenir (= auto-évaluation positive).

D : Hélène, maintenant vous allez devenir votre mère. Que lui dites-vous, que ressentez-vous ? Et Anne, vous allez devenir Hélène (= renversement de rôles).

H (en tant que sa propre mère) : J’ai toujours pensé que tu étais suspicieuse à propos de cette histoire, ce qui me rendais incertaine aussi. Mais si tu penses vraiment que ça va marcher, je te soutiendrai (= Image idéale de l’autre / Méta-Soi idéal).

D : Bien Hélène, maintenant vous pouvez devenir vous-même à nouveau. Retournons au magasin.

D (à Anne) : Anne, vous allez de nouveau jouer la mère d’Hélène (…) et maintenant, vous pouvez rejoindre les autres membres du club. Plus tard, durant le partage, vous pourrez dire ce que vous avez ressenti en tant que sa mère.

 

(h) H (de retour dans le magasin ; elle parle d’un ton convaincu) : Je veux vraiment acheter plus de confiance en soi !

D : Ok Hélène, combien en voulez-vous ?

H : Au moins deux bons kilos ! Tout le monde trouve cela amusant.

Ensuite, il y a un bref épisode de négociation, lorsqu’Hélène et les autres membres du « Club de clients » cherchent des qualités positives qu’Hélène possède et qui, en dépit d’être positives, entravent son développement (par exemple : son inquiétude pour les autres, qui fait qu’elle néglige ses propres besoins). L’étape de la négociation est en général un moment très relaxant, particulièrement après la tension qui a prévalu durant le jeu des deux  saynètes . Les participant rient beaucoup et disent joyeusement qu’Hélène a assez donné en échange de sa nouvelle qualité. Finalement, ils se mettent d’accord.

 

(i) D : Hélène, nous acceptons votre proposition. Le grand moment est donc venu : voici votre paquet de confiance en soi ! Hélène croise ses bras en face de sa poitrine et prend pleinement contre elle sa confiance en soi nouvellement trouvée.

D : Maintenant, Hélène, écoutez attentivement : vous devez pratiquer votre confiance en vous, et ce chaque jour, pas seulement dans la situation que nous avons vue ici, mais aussi dans beaucoup d’autres situations. Souvenez-vous bien de cela… et lorsque vous quittez le magasin, n’oubliez pas de sonner !

H : Je le promets, monsieur le propriétaire du magasin ! J’ai l’impression d’avoir fait une bonne affaire… Je voudrais remercier le club des clients pour leur large soutien. Le groupe se réjouit et l’encourage.

 

(j) Hélène quitte le magasin, « ding dong », et retourne au sein du groupe. Il y a un moment de silence. Le propriétaire du magasin marche vers la porte (P) et retourne la pancarte sur « FERME ».

 

Ensuite vient, comme dans un psychodrame classique, l’étape du partage. Les chaises sont réunies et forment un cercle clos.

Tout d’abord, nous revenons sur le(s) rôle(s) joué(s).

D : La maman, comment vous êtes-vous sentie en tant que mère d’Hélène ?

Anne : J’ai ressenti très fort l’inquiétude pour ma fille, mais dès que j’ai entendu qu’elle n’avait plus de doutes, je me suis sentie bien mieux.

D : Ok, c’est bien qu’Hélène puisse entendre cela… Mais maintenant, il est temps de devenir vous-même à nouveau. Vous n’êtes plus la mère d’Hélène, vous êtes de nouveau Anne. Anne se lève et dit délibérément : Je ne suis plus la mère d’Hélène, je suis Anne ! (= sortie de rôle).

D (aux membres du groupe) : Est-ce que le psychodrame d’Hélène vous rappelle quelque chose en vous ? Vous pouvez partager en « je ».

Cela devient un riche partage de soutien pour Hélène, et il s’avère que de nombreux autres membres du groupe ont eu des expériences similaires et les ont vivement reconnues.

Discussion et interprétation théorique

Comme esquissé précédemment, l’atmosphère environnante dans laquelle la séance a eu lieu est de la plus haute importance. Il est nécessaire que les membres du groupe se sentent suffisamment en sécurité, sans quoi le Magic Shop ne sera qu’amusant, rien de plus. Le rôle des membres du groupe est de soutenir et d’accepter, mais pas de s’imposer eux-mêmes. Le protagoniste a tout droit d’analyser son sujet, sa production phénoménologique, même dans ses connexions profondes et inconscientes. Ce séquençage de la technique du Magic Shop stimule l’auto-actualisation de la manière suivante.

  1. En travaillant dans le contexte spécial, à la fois ludique et sérieux, du psychodrame, il y a un plus grand stimulus pour l’auto-réflexion, pour la dialectique entre les six dimensions-de-soi et les questions connexes mentionnées dans un article précédent du présent journal (Verhofstadt-Denève, 2016). L’Image de Soi-Même, l’Image de l’autre et le Méta-Soi sont principalement axés sur ce qui va de la deuxième étape de la séance à la fin de la première saynète(b, c, d, e), lorsque le manque d’une qualité donnée commence à être ressentie (parfois de façon très aigüe). Avec l’aide et le soutien du groupe, le protagoniste peut commencer à expérimenter les images idéales respectives aussitôt que la seconde saynète commence, lorsqu’elle pratique avec la nouvelle qualité (g).

Il est juste de voir cela comme un véritable processus d’apprentissage, qui peut avoir un effet durable sur le futur comportement du protagoniste, grâce aux implications situationnelles et affectives, à l’influence positive du groupe et à l’atmosphère très spéciale du Magic Shop.

  1. Les scènes successives dans le psychodrame intensifient l’expérience des oppositions variées et leur intégration. Par exemple, lorsqu’Hélène commence à noter le désaccord entre ce qu’elle pense et ressent et ce qu’elle dit effectivement à sa mère, il y a cette douloureuse opposition initiale entre les aspects externes et internes au sein de l’Image de Soi-Même (e, f). Les étapes suivantes (g, h) atténuent considérablement ces oppositions : Hélène ose à présent exprimer ses pensées et ses sentiments face à sa mère. Dans le même temps, les étapes de l’action que traverse le protagoniste (avec les techniques de la prise de rôles et du renversement de rôles) et l’aide venant des autres membres du groupe (les doubles) lui permettront de découvrir des interprétations alternatives, plus flexibles (f, g) d’une réalité complexe, interprétations qui complèteront les constructions phénoménologiques subjectives du personnage (c, d, e).

Il est aussi très instructif pour le protagoniste d’expérimenter les oppositions (et similitudes) entre les deux vignettes. La réalité n’est pas aussi terrible que dans la premier scène, et pas aussi délicieusement harmonieuse que dans sa version restructurée. La vie réelle est quelque part entre les deux et peut être considérée comme l’intégration des deux extrêmes vignettes.

Vu depuis cet angle, la technique du Magic Shop est une méthode dialectique dans son propre droit, dans laquelle le protagoniste se déplace entre deux pôles opposés qui peuvent être intégrés dans son comportement réel. Dans d’autres publications, j’ai décrit la nature dialectique du renversement de rôles et de la prise de rôles, et souligné leur signification en tant que fortes incitations pour le développement de la personnalité (Verhostadt-Denève, 1999, 2000, 2001, 2007, 2016).

  1. Des thèmes existentiels, comme l’anxiété et particulièrement la culpabilité, sont prééminents dans les étapes initiales (d, e, f). Dans la seconde vignette (g) et dans les étapes suivantes (h, i, j) les sentiments de culpabilité peuvent ne pas avoir été entièrement résolus, mais ils semblent être moins aigus. L’anxiété et la culpabilité sont des thèmes classiques, teintés de caractéristiques existentielles, et ils peuvent maintenant être reconnus et acceptés par le protagoniste comme « normaux ». Dans l’étape du partage en particulier, Hélène pourrait sentir qu’elle n’était certainement pas la seule à souffrir des sentiments de culpabilité, d’anxiété et de solitude. En effet, de nombreux membres du groupe ont reconnu des problèmes similaires auxquels ils étaient aussi confrontés, et leurs réactions pendant et après le « travail de Magic Shop » d’Hélène étaient particulièrement intéressées et honnêtes.
  1. Ce qui est probablement le plus évident dans cette séance de psychodrame est le développement du protagoniste vers une auto-évaluation positive. Avec l’aide du groupe dans son ensemble, Hélène est devenue plus forte ; elle est devenue plus confiante en elle-même et elle ose à présent prendre une position déterminée dans sa relation avec sa mère. Ce qui est très significatif, c’est qu’elle a la ferme intention d’utiliser sa qualité nouvellement trouvée aussi dans des situations réelles. La confiance en soi de la protagoniste et son auto-appréciation sont renforcées par la connaissance qu’elle est acceptée en tant que personne et appréciée comme telle par les membres du groupe, même si elle a osé révéler des aspects moins remarquables de sa personnalité. Bien sûr, on donnera à Hélène l’opportunité, durant la séance suivante, de revenir sur ses expériences avec la qualité nouvellement « achetée ». Au besoin, on lui permettra de pratiquer davantage avec le soutien du « club ».

En utilisant l’imagination ainsi qu’une combinaison de sérieux et un contexte ludique sécurisé avec douceur, la technique du Magic Shop offre un outil utile pour améliorer l’auto-réflexion. En suivant la succession d’améliorations suggérées, l’expérience d’apprentissage s’intensifie et renforce ses fondements dans un cadre rationnel, théoriquement cohérent. En tant que telle, la technique a des implications à la fois pour la thérapie et pour favoriser le développement personnel.

Traduction de l’anglais : Vincent CHAZAUD

Références

Barbour, A. (1992). Purpose and Strategy Behind the Magic Shop. Journal of Group Psychotherapy Psychodrama and Sociometry, 45, 91-101.

Leveton, E. (1992). A clinician’s guide to psychodrama. New York: Springer Publishing.

Moreno, J.L. (1964³). Psych­odrama. Beacon, New York: Beacon House (vol 1).

Petzold, H. (1971). The therapeutic possibilities of the psychodramatic “magic-shop-technique”. Zeitschrift für Klinische Psychologie und Psychotherapie, 19, 354-369.

Rustin, T.A. & Olsson, P.A. (1993). Sobriety Shop: A variation on Magic Shop for addiction treatment patients. Journal of Group Psychotherapy Psychodrama and Sociometry, 46, 12-23.

Verhofstadt-Denève, L. (1999). Psychodrama with University Students in Clinical Psychology: Theory, Action and Evaluation. In P. Fontaine (Ed.), Psychodrama Training. Leuven: Federation of European Psychodrama Training Organisations (FEPTO).

Verhofstadt-Denève, L. (2000). Theory and Practice of Action and Drama Techniques. Developmental Psychotherapy from an Existential-Dialectical Viewpoint. London: Jessica Kingsley Publishers.

Verhofstadt-Denève, L. (2001). The “Magic Shop” Technique in Psychodrama: An Existential-Dialectical View. The International Journal of Action Methods, 53, 3-15.

Verhofstadt-Denève, L. (2007). Existential-dialectical Psychodrama: The Theory behind Practice. In: C. Baim, J.Burmeister & M. Maciel (Eds.), Psychodrama. Advances in Theory and Practice (pp.111-126). New York: Brunner/Routledge.

Verhofstadt-Denève, L. (2016) Le modèle phénoménologique-dialectique de la personnalité. Un cadre de référence pour praticiens orientés actionRELATION ET ACTION. Méthodes d’Action et Psychodrame Humanistes. Journal de l’Institut ODeF, NR. 5 (2016/06). Online

Date de publication : 6 février 2017

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