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L’Objet Intermédiaire de Communication – Introduction à quelques expériences novatrices

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par Luciano José Cardoso e Moura.

 

Résumé

Ce travail est basé sur le concept de l’Objet Intermédiaire de Communication de Jaime Rojas Bermúdez.

L’auteur décrit trois cas cliniques, dans sa pratique de psychodrame, pour lesquels il utilise des Objets Intermédiaires de Communication qui se sont révélés d’une grande utilité et qui sont devenus une pratique courante dans son travail.

Le premier cas est une thérapie de couple dans laquelle est utilisé un habit de chaque époux comme marionnette, manipulée directement, avec comme intention d’approcher, de façon non verbale, des contenus de la sexualité de chaque client, ce qui permet de contourner ainsi les fréquentes difficultés qui surgissent dans l’approche verbale de cette thématique ; cela permet aussi une meilleure contraction du Soi-même-physiologique de ces personnes, la création d’un lien thérapeutique plus efficace et, par conséquent, de meilleurs résultats dans le diagnostic et le traitement du lien du couple.

Dans le second cas, aussi par le Sociodrame de Couple, et en utilisant la “double fonction populaire du rouleau à pâtisserie”, se crée, en jouant, un espace de réflexion à propos des sentiments d’amour/haine de la cliente envers son mari, ce qui permet, dans une ambiance détendue, de situer les hypothèses de changement dans cette relation.

Dans le troisième cas, il s’agit de l’utilisation de masques lors d’une séance de Psychodrame bi-personnelle, dans une situation d’urgence hospitalière dans laquelle le protagoniste révélait une sérieuse intention suicidaire.

Introduction

Le concept de l’Objet Intermédiaire de Communication a été développé par Jaime Rojas Bermúdez à partir des années 1960, quand il a initié des expériences psychodramatiques avec des patients psychotiques chroniques avec symptômatologie résiduelle à l’Hôpital National J.T. Borda de Buenos Aires.

Il s’agissait de patients qui persistaient à s’isoler ; leur continuelle inattention et un retour sur soi-même constituaient un défi permanent aux tentatives d’établissement d’une relation thérapeutique avec un minimum d’efficacité.

L’utilisation de l’Objet Intermédiaire de Communication s’est révélée un excellent moyen de rétablir la communication interrompue qui induit d’une part la contraction du Soi-Même Physiologique et, d’autre part, l’établissement de liens adéquats.

Ultérieurement, il a développé le concept de l’Objet Intra-intermédiaire de Communication qui a pour fonction de produire un accroissement de la communication du patient avec soi-même, ce qui accélère des réactions psychologiques permettant de prendre conscience avec plus de clarté et de rapidité des aspects de soi-même, normaux et/ou pathologiques.

Ces idées ont été ultérieurement élargies, avec succès, à d’autres situations de la pratique psychodramatique, qui est devenue une pratique courante pour beaucoup de psychodramatistes actuels.

Tout au long de ma pratique clinique, plusieurs situations sont apparues dans lesquelles l’utilisation de matériel avec ces objets s’est révélée d’une grande utilité. Je me propose de décrire ici quelques cas pour lesquels me sont apparues quelques idées qui pourront, d’une certaine façon, être utiles au lecteur. Si c’est le cas, je considérerai accompli le but principal de la publication de ce travail.

Les histoires sont véridiques mais, pour des raisons évidentes, les noms des personnes ont été modifiés.

“Les manteaux”

Elisa et Francisco, respectivement 38 et 40 ans, formaient un couple de commerçants de classe moyenne ; ils avaient un fils et une fille en âge d’aller à l’école.

Elle consultait en psychiatrie pour des problèmes névrotiques, avec des périodes dépressives pendant lesquelles elle refusait d’aller travailler et restait au lit avec des plaintes de céphalées et d’asthénie, de l’irritabilité surtout par rapport à ses enfants et à son mari.

Lui était un homme dynamique, calme et très tolérant, il se préoccupait beaucoup de la santé de sa femme et quand elle était malade, il assumait tout le travail domestique et le soin des enfants, au-delà de ses responsabilités professionnelles habituelles.

Elisa parlait de Francisco comme étant un bon mari et un bon père, elle ne formulait aucune plainte à son propos. Mais elle admettait que l’ajustement sexuel du couple n’était pas très bon. Elle se plaignait de dysfonctionnements orgastiques dont elle attribuait la « faute » à elle-même.

Elle avait une très mauvaise image d’elle-même et quelques fois une faible estime de soi ; elle prenait des médicaments antidépresseurs.

Je leur ai proposé la thérapie psychodramatique de couple, qu’ils ont acceptée sans résistance.

J’ai utilisé certaines techniques psychodramatiques classiques comme approche de la problématique sexuelle, mais il restait toujours quelque chose de non révélé, surtout parce que tous les deux rencontraient une grande difficulté à aborder cette thématique ouvertement.

Je me suis souvenu leur demander de représenter leur lit sur la scène, en utilisant des tissus que j’ai toujours dans la salle de Psychodrame. Je leur ai proposé de décrire ce qu’on pouvait visualiser sur les tables de chevet, ce que l’on pouvait trouver dans les tiroirs, je leur ai demandé si la porte était d’habitude fermée, si la chambre était suffisamment insonorisée par rapport aux chambres des enfants, etc. Je les ai alors priés d’enlever le manteau qu’ils avaient chacun et de l’utiliser comme une marionnette à manipulation directe ; de cette façon, la position des membres, du tronc et de la tête était évidente, déduisant ainsi facilement les postures habituelles du couple pendant qu’ils dormaient ou quand ils avaient des relations sexuelles. En quelques minutes il fut possible de visualiser avec clarté des détails qui seraient difficilement abordés verbalement et qui ont beaucoup facilité le diagnostic et l’approche thérapeutique de ce lien.

J’ai commencé à utiliser cette nouvelle technique fréquemment lorsque je dirige les séances de Psychodrame de Couple ou même en Psychodrame Individuel, en utilisant dans ce cas le manteau d’un ego-auxiliaire, par exemple.

C’est avec satisfaction que je me suis aperçu que plusieurs collègues ont commencé à utiliser avec succès cette idée dans les séances de Psychodrame de Couple.

“Le rouleau à pâtisserie”

Maria et Manuel, 40 et 42 ans respectivement. Elle était professionnelle de santé dans un hôpital et lui était professeur de gymnastique, au chômage à ce moment-là.

Ils habitaient ensemble depuis 20 ans, et ils avaient une relation très troublée depuis le début parce qu’ils avaient beaucoup de disputes.

Maria est venue à mon cabinet de psychiatrie à une époque où elle se sentait exténuée, très anxieuse, angoissée, avec une diminution significative de sa capacité à travailler et une grande indécision quant au futur, car l’ambiance familiale était devenue insupportable :

– Nous avons toujours eu beaucoup de disputes, mais on arrivait à vivre… mais maintenant j’ai peur parce que je crains que Manuel commence à m’agresser physiquement… je ne sais pas quoi faire…, disait-elle.

La relation s’était détériorée surtout depuis 4 ans environ, après la naissance de leur fils. Ils étaient constamment en désaccord à propos de son éducation.

Maria se plaignait d’être constamment insultée par son mari, qui l’accusait d’incompétence, et la critiquait dans son rôle de mère.

Quatre ans plus tôt, Maria avait quitté sa maison pour aller vivre chez ses parents car elle ne supportait plus cette situation. Manuel revendiquait la garde de son fils, en exigeant que celui-ci reste avec lui. Il empêchait que Maria lui rende visite lorsque leur garçon pleurait parce qu’il voulait voir sa mère.

Maria n’acceptait pas l’idée de se séparer de son fils et, pour cette raison, elle est retournée à la maison quelques semaines plus tard.

– Nous pouvons être les personnes les plus malheureuses du monde, mais nous allons supporter d’être ensemble parce que notre fils doit être heureux, lui disait Manuel.

Ils se sont mis d’accord sur le fait qu’ils ne se disputeraient pas en présence de leur fils et ils iraient même jusqu’à faire semblant de bien s’entendre. Elle racontait qu’il l’insultait souvent pendant qu’il feignait un sourire pour que leur fils ne s’en aperçoive pas.

Cela faisait plus d’un an qu’elle dormait dans la chambre et lui sur le fauteuil du salon. Ils n’avaient pas de relations sexuelles.

Il consommait régulièrement du cannabis et elle a précisé que leur vie sexuelle avait toujours été perturbée à cause de ça.

Quant à la possibilité de faire un Psychodrame de Couple, je considérais qu’il serait préférable premièrement d’ordonner ses idées et qu’après, éventuellement, il serait possible de penser à ça.

Je lui ai proposé alors de s’inscrire à l’un de mes groupes de psychodrame, ce qu’elle a accepté volontiers. Elle est entrée dans un groupe qui fonctionnait à l’époque sur le modèle de la psychodanse.

Elle s’est vite révélée l’un des éléments les plus participatifs et créatifs du groupe. Elle a amélioré significativement ses symptômes initiaux et elle a repris, par elle-même, ma proposition de suivre une thérapie de couple.

Manuel a accepté, après quelque résistance.

Durant les premières séances, le couple tendait à créer un climat de grande tension et commençait spontanément de grandes discussions qui se terminaient fréquemment avec une attitude colérique de la part de Manuel et avec une posture défiante et parfois un peu cynique de la part de Maria.

Dans l’approche de la thématique sexuelle dans le contexte dramatique, le lien s’est révélé étonnamment très adéquat.

Une ambiance d’amour/haine se révélait fréquemment, que tous les deux sentaient une grande difficulté à gérer.

J’ai alors pensé à ramener un rouleau à pâtisserie à l’une des séances.

Pendant l’une de leurs discussions, dans le contexte dramatique, je les ai surpris en leur montrant le rouleau et je leur ai demandé à quoi ils pensaient qu’il pouvait servir. Elle, en plaisantant, a dit que ça servait à étendre la pâte, mais que ça pouvait aussi servir aux femmes à frapper leur mari.

Avec fermeté (tous les deux avaient conscience que tout ce qui se passait dans le contexte du psychodrame n’avait pas de conséquence directe), j’ai dit à Manuel qu’il était temps qu’il soit battu par sa femme, et qu’il enlève sa chemise et aille se coucher vers le bas sur la scène. Il a accepté immédiatement. J’ai alors demandé à Maria qu’elle se mette derrière lui et je lui ai demandé de masser le dos de son mari avec le rouleau à pâtisserie en utilisant du talc pour que ça roule mieux et que ce soit plus agréable. Pendant qu’elle faisait ça, je lui ai demandé un soliloque. Emue, elle disait :

– Nous avons perdu tellement de temps… nous nous sommes perdus avec des choses qui à la fin n’ont pas tellement d’importance… je n’ai jamais eu un autre homme que celui-ci et je n’imagine pas refaire ma vie avec quelqu’un d’autre… j’aimerais tellement qu’on trouve une issue…

C’était l’été et ils ont décidé d’aller camper. Ils ont dormi dans la même tente et ont passé des vacances agréables.

Quand Maria est revenue dans le groupe, elle disait que “l’histoire” du rouleau à pâtisserie avait réellement été importante pour elle et qu’elle y pensait souvent. Elle a reconnu que l’Agression et la Sexualité coexistaient fréquemment, “avec un mur mitoyen”, et que finalement ce mur ne pouvait être insurmontable.

Depuis lors, j’ai toujours un rouleau à pâtisserie dans la salle de psychodrame quand je dirige une thérapie de couple.

“Psychodrame dans le Service d’Urgence”

Le prochain cas que je vais aborder nous laisse parfois une énorme sensation d’impuissance, de par sa difficulté et par sa complexité.

Eugénio avait 26 ans quand il est venu me consulter pour la première fois. Il était médecin et menait une brillante carrière hospitalière. Il m’avait été envoyé par une autre collègue qui ne se sentait pas en condition de l’aider convenablement et qui savait qu’à l’époque j’aidais, dans mon service psychiatrique, les malades infectés par le VIH du Service de Psychiatrie de l’Hôpital de S. João et que je pouvais être d’une plus grande aide dans un cas comme celui-ci. Le patient était homosexuel, il avait un compagnon séronégatif, qui avait fréquemment des relations sexuelles de promiscuité, qui n’assumait pas bien cette relation et dont Eugénio était amoureux. Il avait découvert sa séropositivité après un simple check-up. Sa réaction a été catastrophique : il a rompu sa relation avec son compagnon, il a commencé à avoir des difficultés dans l’exercice de ses fonctions professionnelles, il se sentait découragé, il lui venait des idées de suicide.

Quand je l’ai connu, il avait déjà plusieurs traitements avec des antidépresseurs, sans n’avoir eu aucune amélioration de son état psychique. Il avait déjà tenté de se suicider par ingestion de médicaments.

Je lui ai proposé quelques alternatives de thérapie psychodramatique. Il a répondu négativement à toutes. Le fait d’être médecin le situait devant une éventualité de rencontrer ses patients dans les groupes.

Il ne voulait pas assumer sa condition de séropositivité en public. On lui a proposé le psychodrame individuel mais Eugénio n’a pas pu accepter car il avait des déplacements professionnels.

Ainsi, il ne m’a plus rendu visite pendant un an, il communiquait avec moi de temps en temps pour me donner des nouvelles : il avait « des hauts et des bas » par rapport à son humeur et à son estime de soi.

Il m’est apparu un jour, dans le service d’urgence de l’hôpital où je travaillais. Il est venu me chercher « en désespoir de cause » et parce qu’un ami à lui, aussi mon patient et séropositif, avait insisté pour qu’il vienne à moi.

Il avait récemment commis quatre tentatives de suicide, la dernière étant avec des organophosphorés qui l’avaient obligé à être hospitalisé dans un service de médecine. Il mentionnait une déception amoureuse comme explication à son attitude. Malgré tout, il laissait transparaître, sous-jacent, un « coping » mal ajusté en relation à sa condition de séropositif. Je lui ai proposé plusieurs hypothèses alternatives d’internement psychiatrique. Il les a toutes refusées, comme il l’avait déjà fait avec des propositions semblables venant d’autres collègues.

Je me suis souvenu à l’époque d’avoir entendu Zerka Moreno dire, pendant un atelier à Buenos Aires, que devrait exister un espace d’ambiance psychodramatique dans les services d’urgence.

Il m’est venu alors l’idée d’emmener Eugénio dans la salle de psychodrame du Service de Psychiatrie et ainsi d’essayer de travailler le cas en ambiance psychodramatique. Je ne disposais pas, comme espéré, d’ego-auxiliaire ni d’auditoire ; il faudrait faire avec le modèle bi-personnel (monodrame).

Je disposais d’une salle de psychodrame avec une scène et d’une collection de masques élaborés par des patients de l’Hôpital de Jour, résultants d’un travail que j’avais mené.

Après un échauffement, je lui ai proposé de mettre en scène un atome social, en utilisant les masques que je mettrais sur la scène, après avoir évoqué le personnage correspondant.

Le protagoniste était invité à mettre le masque par terre, à la distance qu’il considérait appropriée par rapport à la place que lui-même occupait. Ensuite, je mettais moi-même chacun des masques, en habillant ainsi chacun des personnages indiqués pendant que le protagoniste s’adressait à eux verbalement. Cet atome inclut la personnification de la profession, du SIDA et la mort de parents proches, d’amis et du compagnon.

Ses dialogues comprenaient des contenus dépressifs, verbalisant des plans de suicide, du découragement et une perte d’estime de soi. Je lui ai demandé, dans un second temps, de me montrer comment serait éventuellement son atome s’il pouvait et voulait l’améliorer, et d’essayer ainsi d’alterner les liens avec les éléments en question. Spontanément, il a placé plus près de lui les masques de ses amis, de ses proches et de son compagnon et, curieusement, en laissant inchangées les positions du SIDA, du travail et de la mort, qui étaient situés à une distance suffisamment grande pour laisser apparaître « dévalorisation ». Dans le « comme si » de la situation améliorée, il positionnait des alternatives de changements et vérifiait les liens avec les personnes en question.

Il se sentit beaucoup mieux à la fin de la séance.

Au moins dans cette situation d’urgence j’ai senti que j’avais fait, avec l’aide de ces masques, qui ont fonctionné comme de beaux Objets Intermédiaires de Communication, le mieux de ce qui était à ma portée et que, d’une certaine façon, j’avais aidé Eugénio à dépasser cette situation de crise, tout en sachant qu’il continuait à être un sérieux candidat à une fin tragique, en plus du fait qu’il continuait à ne pas habiter Porto et à refuser tout programme thérapeutique.

 

Bibliographie

1 – Rojas, Bermúdez, J. – Teoria y Técnica Psicodramáticas, Ed. Paidós, 1997

2 – Moreno, J. – Psicodrama, Cultrix.

3 – Soeiro, A.C. – Psicodrama e Psicoterapia, Natura, S.Paulo, 1976.

Date de publication : 9 octobre 2017

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