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Le défi pour le consultant de se tenir dans la «zone d’ombre» du client

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par Elena EVSTATIEVA.

Cet article développe le thème proposé, étudié au cours de deux ateliers homonymes présentés sur la période d’un mois devant la communauté de coaching à Sofia en novembre 2015[1] et à la Conférence Nationale Scientifique et Pratique: Dynamique de Groupe, Développement Organisationnel et Psychologie Appliquée en Décembre 2015 à Sofia.

Dans ces ateliers, l’accent est mis sur la «rencontre» et les défis auxquels est confrontée l’interaction consultant[2]-client[3] dans un processus consultatif, offrant le changement et la transformation des processus d’affaires et des relations par des méthodes d’action. L’atelier mis en place conjointement avec Emilian Kroumov[4] faisait partie de notre travail d’équipe au cours de la période 2014-2016. Le thème et les ateliers étaient une réponse aux cas discutés par des consultants de premier plan et d’autres collègues puis partagés à plusieurs reprises dans des séances d’intervision consacrées aux relations «client-consultant».

 

Introduction

A notre avis les professionnels qui sont familiers avec la perspective psychodynamique et qui appliquent des méthodes d’action dans leur pratique de consultation ont un avantage sur les autres. Non pas parce qu’ils sont plus capables ou possèdent les connaissances et les outils parfaits pour comprendre les processus dans une organisation, mais parce que, peu importe que nous en tenions compte ou non, la psychodynamique au niveau individuel, collectif et organisationnel existe et la conscience de cela garantit un avantage dans la gestion des processus d’affaires et des changements. Les méthodes d’action elles-mêmes permettent un travail enrichissant dans la réalisation de différentes interventions à différents stades du processus de consultation, ainsi qu’à différents niveaux: individuel, en équipe et organisationnel.

En raison de leurs spécificités, les méthodes d’action offrent une «élucidation» des domaines qui, à première vue, ne sont pas au centre de l’intervention, mais qui peuvent être porteurs d’informations importantes, d’expériences, de prises de conscience et de changements: la réelle valeur ajoutée du processus de consultation. Elles constituent également l’une des meilleures opportunités pour une formation efficace au niveau institutionnel aussi bien qu’en équipe et pour le développement des compétences en communication, résolution de conflits, leadership ou styles de management, ainsi que pour le développement d’une nouvelle culture d’entreprise.

Notre croyance est pourtant mise à mal par l‘insatisfaction fréquente (du consultant et du client) : le refus d’utiliser (ou de fournir) des services ou de les remplacer par des actions d’imitation (juste par besoin de faire des actions) promettant des changements. Cela semble remettre en question nos propres croyances ainsi que l’arsenal disponible pour le consultant. Cela pose aussi la question des spécificités de la rencontre et de la relation consultant-client déterminées par les dynamiques en cours pendant leur interaction, et les enjeux des réalités subjectives de chacun des participants d’une part et d’une réalité relativement objective où ils se rencontrent d’autre part – le contrat de services de consultation ou travail collaboratif. La question de l’effet de cette «rencontre» et de son contenu est soulevée dans le processus consultatif suivant, ainsi que son impact sur d’autres personnes qui font partie du système, mais qui ne sont pas directement impliquées dans la rencontre, du moins au début.

Alors, si au début de la première rencontre, le consultant demande “qu’est-ce qui vous a fait nous appeler ?”, la plupart du temps, au cours de la séance une autre question se pose ” de quoi s’agit-il vraiment ?” Ca sert à quoi. A qui cela va-t-il servir ? (L’entreprise, la direction, l’équipe ou qui d’autre ?). Ces interrogations ne sont pas toujours posées de manière directe.

Ce sont quelques-unes des questions qui attirent notre attention au début de notre travail sur ce thème. Nous décidons de vérifier si notre «ouïe» subjective ne met pas en sourdine d’autres sujets non moins importants, en prenant des mesures supplémentaires dans la préparation:

1) Rédaction d’une liste de sujets tirés de notre expérience personnelle et de celles de collègues avec qui nous avons participé à des groupes d’intervision dédiés à la rencontre «consultant – client».

2) Comparaison des sujets choisis à travers la recherche documentaire avec ceux décrits par d’autres professionnels, quel que soit le type de service de consultation et le domaine d’impact.

3) Sondage des consultants et des managers sur leur expérience dans l’utilisation et l’offre de services de consultation.

En raison des limites de cette présentation, je présenterai directement les défis formulés reflétant les données collectées à l’avance[5].

 

Défis liés aux «visions du monde» des protagonistes
Entreprise (clients) Consultant
Orientée vers l’accélération continue des processus, prête à impliquer toutes les technologies modernes pour soutenir la recherche de résultats et de profits élevés “Ralentit le temps”. Sa présence même, la recherche d’information et «la prise d’une anamnèse» exigent l’inclusion de «ici et maintenant» dans la pensée du client.
Pense presque tout le temps dans le “là et au-delà” – projection de l’avenir par la planification et les objectifs de “là et au-delà” – dans le passé à travers l’exigence de rapports suivis d’encouragements ou de sanctions pour ceux qui les rapportent. Interprète et tire des conclusions “ici et maintenant” qui peuvent donner lieu à la résistance[6] des clients. Semble “favoriser” le facteur humain. Rappelle souvent les sentiments, les attitudes et leurs comportements, ce qui rend impossible leur exclusion des relations.
Les technologies deviennent le moyen de résoudre les «erreurs systémiques» et de minimiser l’impact du facteur humain; les sentiments sont négligés. Parle rarement avec des chiffres du point de vue des affaires. Se réfère avec prudence à l’évaluation des résultats, des délais et profits associés.
Formule (par des experts internes) des problèmes et des attentes de changements souhaités et de valeur souvent sans rapport avec les besoins réels et / ou sert des processus corporatifs «vagues» investis dans l’image positive d’un “changement vers l’amélioration des indices de succès”. Parle mais n’évalue pas, sonde avec prudence. Le client en quête d’orientation peut se sentir confus plutôt que soutenu dans ses quêtes pour des résultats plus élevés.

  

L’interaction continue et les relations de transfert qui y sont liées

Le service de consultation est souvent réalisé par le biais d’interactions avec différents niveaux hiérarchiques – «Consultant – Manager», «Consultant – Experts internes», «Consultant – Equipes / départements» – toujours imbibés de transferts. Les options pour le développement et le «jeu» de ces relations sont nombreuses et abondent en nuances complexes[7]. Ils peuvent être déterminés individuellement, mais peuvent aussi faire partie de la dynamique organisationnelle globale, du «comportement» organisationnel et de celui des sous-systèmes qui s’y trouvent. Le contrat de services de consultation peut s’avérer complètement “subordonné” aux relations de transfert en cours. L’un des résultats de cette situation est le sentiment de non-pertinence du consultant vis-à-vis des problèmes posés par le client qui se traduit par l’impossibilité d’établir une complicité dans le travail et une vraie rencontre[8]. Exemple d’une autre situation – le consultant est chargé des attentes découlant de l’impuissance et de la «responsabilisation» élevée pour l’action, ce qui représente une idée dépourvue d’intérêt et assez fantaisiste qui conduira à l’échec à la fois pour le consultant s’il acceptait le rôle de sauveur et pour l’entreprise et ses résultats recherchés.

Présentation de l’atelier de décembre 2015, dans le cadre de la conférence scientifique et pratique: Dynamique de Groupe, développement organisationnel et psychologie appliquée.

Les objectifs que nous nous sommes fixés sont d’explorer en réelle interaction les défis formulés, ainsi que de «chercher ensemble» (avec des collègues) les opportunités de travailler sur ces difficultés et de les surmonter.

Participants: Collègues consultant des organisations professionnelles, des ONG, des institutions. La plupart d’entre eux sont proches de la compréhension psychodynamique et de l’interprétation des relations dans un groupe ainsi que dans une organisation, ayant une expérience de plusieurs années dans la conduite de formations et de consultations utilisant exclusivement l’arsenal des méthodes d’action. Certains d’entre eux participent régulièrement à des groupes d’intervision qui discutent des sujets présentés ici. 35 personnes ont participé à l’atelier. Temps prévu pour l’atelier – 90 minutes. Durée réelle – 45 minutes[9].

En entrant dans la salle, les participants doivent choisir des sujets présentés à l’avance en respectant les critères de «proximité, reconnaissance et importance du domaine pour le participant». Aucun autre détail n’est donné. Les thèmes sont les suivants:

1) «Travail sur la demande: remplacement ou reformulation, le processus et les lignes directrices dans le cadre du processus de consultation».

2) “Les perspectives temporelles de l’entreprise et du consultant”.

3) “Rationalisation comme réaction de l’entreprise aux dynamiques des relations de l’organisation contre les processus dans l’intrapsychique et la dynamique de groupe”[10].

Le plus grand nombre de participants choisis le sujet des perspectives temporelles dans la relation «client-consultant», très peu choisissent des «rationalisations». Avant de donner des instructions sur le travail en petits groupes, les résultats des sondages sur les entreprises et les consultants sont présentés.

Contributions des discussions au sein de petits groupes:

1) “Remplacement/reformulation”:

  1. La discussion dans ce groupe est marquée par une intensité émotionnelle plus élevée. La discussion et les réflexions sur le sujet dépendent des expériences différentes des participants.
  2. Vérifications/parallèles et exemples pour le remplacement et la reformulation d’une application sont fournis en travaillant avec des individus dépendants.
  3. Les conversations démarrent avec difficultés, mais il est intéressant de noter que, malgré nos «découvertes» et nos illusions montrées par les clients, nous devons accepter leur tentative de remplacement et continuer à travailler sans recours à des négociations trop compliquées pour ne pas provoquer le retrait voir la fin des relations “consultant-client” qui viennent de commencer.

2)“La perspective temporelle de l’entreprise et du consultant”:

  1. Le tableau illustre la diversité des points de vues dans la description et la perception de ce domaine. Ce qui n’est pas indiqué, mais qui est présent dans la discussion, est à nouveau la perspective “d’ici et maintenant” du consultant qui a été déterminée par un participant comme “intemporel/presque éternel” et en contre partie “le raccourcissement du temps” et le désir de l’accélération continue de la part de l’entreprise.
  2. Un autre aspect intéressant est la différence d’expérience et de perspective temporelle en fonction du niveau hiérarchique avec lequel les échanges sur la consultation sont engagés: «Si je parle avec l’assistant RH, je négocie une formation, si je parle avec le RH lui-même ou avec le manager de l’entreprise, je négocie des services de conseil à long terme. Les niveaux hiérarchiques ont des perspectives temporelles différentes. Le top management pense stratégiquement, et ainsi les services à long terme peuvent être négociés. “

3)”La rationalisation de la pensée de l’intrapsychique de l’entreprise dans les processus dynamiques du groupe”;      a. Le tableau n’illustre que quelques sujets de la présentation par ailleurs extrêmement riche de ce groupe. La discussion est également plus émotionnelle, probablement à cause de la nature du domaine en lui-même – lourdement chargé des dynamiques, de polarités, de fuites et de luttes.      b. La discussion commence par une conversation sur la résistance du client et les relations «client-consultant» à travers le prisme du transfert / contre-transfert.      c. La «rationalisation en réponse à la dynamique dans les relations de l’organisation» est considérée comme une «protection» mais aussi comme un système de pensée – une approche d’ingénierie contre l’intrapsychique – technologie, résultat, produit, profit.        d. La disponibilité de l’expérience managériale apporte plus de clarté sur la position du top management et sa vision du changement (parfois son approche plutôt prudente) qui est à l’opposé de celle du consultant. “Le manager doit souvent compter sur l’interprétation des faits par ses experts. Le fait qu’il ait accès à toutes les informations de l’organisation ne signifie pas qu’il les utilise. Le manque de temps et l’importance de la résolution continue des problèmes opérationnels placent le service de consultation à la périphérie de son attention. L’opinion d’experts internes sur l’état de l’organisation est la source d’informations pour le top manager, et, souvent leur point de vue prévaut dans la formulation de l’application ou de la prise de décision en ce qui concerne le service de conseil. Parfois, cela peut être très trompeur. D’autre part, l’opinion selon laquelle le consultant externe n’est pas familiarisé avec les spécificités de l’institution[11] peut également déterminer dans une large mesure le succès du travail avec le client. Finalement sa responsabilité est très différente de celle du manager qui est responsable à la fois de la gestion quotidienne de l’organisation ainsi que du changement recherché”.

Le travail de l’atelier se termine avec la présentation des discussions des petits groupes suivis d’une brève séance de partage et d’échanges. L’expérience personnelle des consultants acquise dans le travail des petits groupes est également mentionnée dans le résumé à la fin de l’atelier de la Conférence nationale, à savoir que le travail sur le défi de se tenir dans «l’angle mort» du client soulève la question de “l’angle mort” du consultant lui-même.

Comme il a été dit “les affaires de l’Entreprise peuvent être diverses et variées, mais l’affaire du consultant c’est l’Entreprise.”

 

Résultats et conclusion 

Les deux ateliers ont partiellement atteint leurs objectifs. Par manque de temps non anticipé, dans le deuxième atelier, il n’a pas été possible d’explorer les options pour surmonter tous les défis. Les travaux du deuxième atelier ont soulevé la question du rôle du consultant et du rôle du manager dans le processus de consultation. À cet effet, Peter Block fournit une définition qui est assez proche des considérations de cette discussion et il me semble important de le signaler. Le consultant est «quelqu’un qui a de l’influence sur un individu, un groupe ou une organisation, mais qui n’a pas l’autorité directe pour mettre en œuvre les changements». Il oppose cet aspect à un manager de substitution qui «agit au nom ou à la place d’un manager.» D’où la question de savoir qui gère réellement le processus de consultation?

Une autre spécificité, qui n’a pas été clairement définie dans les ateliers mais qui a émergé dans certaines discussions, est la tangibilité du service de conseil. La plupart des participants à l’atelier utilisent des méthodes d’action dans le processus de consultation qui sont très “tangibles” “ici et maintenant” dans l’expérience mais la trace qu’elles laissent est difficile à définir surtout lorsqu’il s’agit d’interventions ou de formations à court terme dans des compétences spécifiques. Il y a de très faibles tentatives mais aussi de bons exemples d ‘«évaluation» et d’ «objectivation» du résultat afin qu’il soit visible pour l’entreprise. Une raison à cela est la durée insuffisante de la dernière étape du processus de consultation, qui se termine généralement après que les activités principales ont été menées et que l’évaluation régulière des résultats n’est presque jamais facilitée.

Une autre difficulté rencontrée par le consultant moderne en Bulgarie est la déformation des Méthodes d’Action [12]en raison de l’utilisation sans discrimination de tous les jeux de rôles par de nombreux formateurs/consultants de divers domaines sans aucune formation mettant en péril les potentialités pour mener une analyse plus approfondie des processus et aider une équipe/groupe de manière à permettre la réalisation et l’intégration du résultat de l’expérience/simulation. L’autre raison de l’échec des Méthodes d’Action est l’attente du client d’un «attrait» supplémentaire plutôt que d’une intervention réelle.

Un autre défi ayant été relevé est la confusion à la fois du client et du consultant concernant la mise en application. Le client veut souvent provoquer et réaliser un changement organisationnel par la formation ou par des activités liées au développement des compétences individuelles et d’équipe. Ce n’est pas une fausse perception ni une supposition, mais c’est généralement une mesure prise contre un symptôme plutôt que contre la cause qui fait croire au client qu’un changement durable peut être atteint par “une pièce en un acte”. De telles actions sont souvent perçues par les équipes comme une «punition» ou une performance peu satisfaisante plutôt que comme un investissement de la part de la direction.

Il serait intéressant que les travaux ultérieurs se concentrent sur l’étude de cette interaction dans un environnement de laboratoire conjointement avec les managers représentant les organisations qui sont des clients de services de consultation.

 

Notes

[1] La conférence a été organisée par la Société Psychologique Bulgare, Département de Psychologie avec l’IPHS-BAS, L’ASSOCIATION BULGARE DE PSYCHOLOGIE APPLIQUÉE, L’ASSOCIATION BULGARE POUR LA FORMATION ET LE DÉVELOPPEMENT

[2] Ce que nous entendons par “consultant” ici, c’est spécifiquement le professionnel qui travaille et interprète la vie organisationnelle et les processus d’affaires à travers la perspective psychodynamique et qui propose des interventions visant à des changements par des méthodes d’action. Il est très probable que tout autre consultant puisse faire face à des défis similaires. Nonobstant les interprétations et propositions du point de vue de la perspective psychodynamique et des méthodes d’action, elles ont leur spécificité due à «l’élucidation» des dynamiques, des attitudes et des relations interpersonnelles traditionnellement non problématisées dans le travail quotidien des organisations où l’on ne voit en général que la partie visible de l’iceberg .

[3] Ce que l’on entend par «client» est cette catégorie de manager qui formulent, réfléchissent et supportent la responsabilité des changements dans les processus d’affaires et leurs organisations en vue de leur optimisation. Ce sont les personnes qui choisissent le consultant, prennent des décisions et, dans un certain sens, cogèrent le service de consultation au cours de sa mise en œuvre.

[4] Psychologue clinique, conférencier à la NBU, avec plus de 15 années de pratique dans le domaine du développement organisationnel.

[5] La présentation détaillée des données a été publiée dans la revue Psychology of the BDP, 2016, n ° 1-4, pp 47-64, Evstatieva, Kroumov

[6] Nous sommes souvent témoins de l’étonnement, de l’admiration et de la colère ou du sabotage du processus de consultation en cours.

[7] Partenariat marqué par «sentiments fraternels», «lutte pour la supériorité et la concurrence», «union amicale» contre «l’ennemi commun», «un parent à qui vous pouvez vous plaindre ou auquel vous pouvez vous opposer», «un amoureux que vous voulez séduire» , etc

[8] Un exemple à cet effet peut être trouvé dans les informations partagées par les consultants participant aux réunions d’intervision

[9] Il est nécessaire de raccourcir le temps à cause des remaniements et des retards dans tout le programme de la Conférence.

[10] Encore une fois avec une référence au transfert des relations et des comportements qu’il provoque.

[11] Le participant à la discussion parle du système des centres de détention qui est un système très enfermé sur lui-même et, comme le ministère de l’Intérieur ou l’Armée, il réagit parfois de façon plutôt paranoïaque, notamment en ce qui concerne les innovations et les interferences venues de l”extérieure.

[12] (selon J.L. Moreno)

 

Traduction de l’anglais par Bradney SCOTT

Date de publication : 16 février 2018

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